L’abomination est ce qui allait de soi…
Wash
Margaret Wrinkle – Editions Belfond
Un premier roman à trois voix, toutes autant passionnantes l’une que l’autre. L’esclave, le maître et l’accoucheuse. Nous sommes dans une plantation du Sud des Etats-Unis, Wash est cet étalon qui ensemence pour la prospérité du domaine, à ceci près que Wash n’est pas un cheval mais un nègre. « Y en a, je les touche à peine. J’ai appris à me méfier. Elles crachent du verre et j’essaie juste de conclure le plus vite possible. Dans cette vie, faut faire attention aux gens sur qui on pose les mains. Mais y en a beaucoup, à qui il reste de la douceur. Le peu de douceur qui est encore supportable. Et elles te regardent, elles savent que c’est pas ce que tu veux. Elles savent que t’es acculé, que tu peux plus sortir, alors elles aident pour que ça se passe bien pour vous deux. Elles apportent tout ce qu’elles ont gardé longtemps bien enfoui au fond d’elles-mêmes pour leurs disparus, et elles vous prennent dans leurs bras, en espérant que quelqu’un quelque part, d’une façon ou d’une autre, tient leurs disparus.
Ces quelques-là, je les tire droit contre moi au lieu de leur appuyer dessus. » La force de ce premier roman est d’être toujours à bonne distance de son sujet. Il ne s’agit pas de juger ou de condamner, mais de raconter. Précisément, et avec une langue toujours juste, raconter l’abomination qui allait de soi il n’y a pas si longtemps. On naissait noir, on était moins qu’une bête. Au mieux on était un outil et le réceptacle d’humeurs de toutes sortes des blancs.
On lit tour à tour les événements que le roman met en scène, entrant dans la pensée des protagonistes, impatient de retrouver chacun, curieux de sa version des faits. L’histoire nous attrape, l’Histoire est dite autrement encore et c’est affaire de littérature tant son auteure, récipiendaire de documents relatant un événement familial dissimulé par ses ancêtres, en fait un roman captivant, une mémoire vive et salutaire.