Comment Vincent da Souza sauva sa stature de héros…
Malika Wagner
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction
La piscine n’ouvrant qu’à onze heures, j’avais le temps de boire un double expresso. Il faisait un froid piquant sur la place du marché où la grande sculpture du Christ surveillait les étals tandis qu’on servait nos breuvages en terrasse. En me réchauffant les doigts avec ma tasse fumante, je confiai à Eric qui partageait alors mon café, les tracas que me causait le personnage principal de mon livre. Ce dernier ressemblait à Alain Delon jeune, ce qui m’apparaissait comme un héritage trop lourd à porter et je désirais, en bonne maman, lui adjoindre des qualités qui lui apporteraient plus de profondeur dans la vie difficile qui l’attendait. Eric, comme à son habitude, se racla la gorge. Delon ? Mais quelle époque ? Visconti ? Melville ? J’étais un peu désemparée. Delon, c’est Delon. Sa jeunesse, c’est la nôtre. Eric était on ne peut plus d’accord. J’avais décidé que Vincent da Souza serait très beau mais pas assez grand. Ce complexe le rongerait sans doute. C’était plus actuel. La moue qu’afficha le visage d’Eric quand je lui fis part du projet de raccourcir mon héros était au-delà de l’éloquence. C’est toi qui décides dit-il. Cinéaste, il respecte la liberté du créateur. Sauf qu’à voir son expression, je compris que si j’avais décapité le David de Michel-Ange, mon crime aurait été moins grave.
J’allais nager. Vincent da Souza s’accrocha à mon cou comme un naufragé en me suppliant de ne pas le rétrécir. Il me demandait de l’aimer tel qu’il était : trop beau, et de cesser d’être moderne.
Une heure plus tard, je sortis de la piscine les cheveux mouillés. Vincent était sauvé.