Dire dans ses détails un fracas, un éblouissement…
Les fleurs d’hiver
Angélique Villeneuve – Editions Phébus
Poursuivant ma découverte des romans d’Angélique Villeneuve, j’entre dans une oeuvre qui s’emparant de notre langue et l’étirant, en fait une matière surprenante, enveloppante et oui ensorcelante, tant il est vrai que les femmes d’Angélique Villeneuve sont un peu sorcières. La Jeanne des Fleurs d’hiver est une figure poignante qui emprunte à Maupassant. C’est une vie et deux êtres.
Une femme et son homme laminés par une guerre qui a tout fauché, les mots, le désir, l’espoir, la guerre a fauché jusqu’à l’attente. « On ne pouvait trouver plus beau que la bouche de Toussaint. Et il semble aujourd’hui un pantin oublié dans un coin, une baudruche percée. Elle voit bien que cet homme sur son édredon n’a rien d’un héros. La guerre a creusé et creuse encore en lui. Il est un creux immense, et Jeanne ignore s’il est possible de l’emplir. Si à eux deux ils en seront capables. Elle pense au grand gâchis des hommes. Elle pense aux héros tristes. » Reste un néant, le visage de Toussaint, la gueule cassée et tout se casse, pourrait briser Jeanne et Léonie leur petite fille. Visage avalé, broyé, enfui d’un soldat, qui ne parvient plus à vivre. Ni père, ni amant, ni mari et surtout pas un homme. « La respiration a formé un large pansement de buée chaude. Jeanne avance une main vers Toussaint, vers sa joue, du côté couvert, et une sorte de sanglot mêlé de bulles et d’os enfle au profond de lui. »
Tous ceux autour de Jeanne et Toussaint sont d’une humanité bouleversante, ils ne sont pas des personnages, ils sont la vie encore, on pense à Bella, au père Caillet, on pense à Sidonie, autre visage de l’irréparable, celle qui aura laissé cinq enfants et deux maris à la guerre et à la misère. L’auteure s’entend tellement à dire dans ses détails, un fracas, un éblouissement, qu’importe si son histoire s’ancre il y a un siècle, elle nous raconte nous, qui on est, et déroule une pelote silencieuse, avec un sens infaillible de ce mystère, la profondeur d’un amour, nous livrant son écho tangible.
« Onze novembre, c’est l’armistice. Ils vont enfin. Ils vont. Ils sont peut-être. Puisqu’elle veut cet homme là. Jeanne offrira sa chair et toute la foi qu’elle a gardées, pour que cet homme sache revenir, elle, Jeanne, elle, sa chambre d’écho. Ils seront deux grands oiseaux d’eau aux gorges tressées. Elle inventera. Il l’aidera. Ils sauront comment faire. Les sons, les mots viendront peut-être. Pour commencer, ils iront se dire par la peau. »
Les fleurs d’hiver – Angélique Villeneuve – Editions Phébus