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Maison d'écrivains (le Blog)

Seront-ils saufs à la fin ?

Seront-ils saufs à la fin ?

L’homme qui rit – Victor Hugo – Editions Gallimard

« N’extirpez point les vices, si vous voulez avoir des femmes charmantes. Autrement vous ressembleriez aux imbéciles qui détruisent les chenilles tout en raffolant des papillons. » Un peu de légèreté distillée dans ce millier de pages ne nuit pas au propos tant une fois encore, Hugo y explore la noirceur des âmes. Il y a trois cents ans les comprachicos faisaient commerce des enfants. On les leur vendait pour en faire des monstres à même de faire rire et le peuple, et les puissants. « C’était une condensation de noirceur ayant un aspect. Péage du cadavre à la rafale, à la pluie, à la rosée, aux reptiles, aux oiseaux. Toutes les sombres mains de la nuit avaient fouillé ce mort. Il était de l’ombre complétant les ténèbres. » Un enfant défiguré, violenté devient un homme moqué et prodigieux car la grimace qui a été faite sur sa face, lacérée et fendue d’un rire qui n’est que blessure, va sceller son destin. Dans ce roman, Victor Hugo lui laisse la part belle au destin, il y va franchement, usant de ces coïncidences et hasards qui sous sa plume ne prennent aucun détour afin que ce forgeron des mots et de la pensée nous enchante avec ses fulgurances : « Les haillons n’ont pas de sexe. » ou plus loin : « La femme nue c’est la femme armée. » Qu’il nous emmène à la cour, ses rites, sa barbarie ou dans les bas fonds, Hugo suit son grand dessin, dénoncer la noirceur sociale, l’iniquité et ce qui reste oh combien vrai, l’absence de fraternité entre les hommes ; nonobstant Ursus le saltimbanque, protecteur de deux innocents, Gwynplaine l’homme qui rit et Déa, l’aveugle chérie. Il y a dans ce trio : Ursus, Déa et Gwynplaine, ce que l’humanité a produit de meilleur. Seront-ils saufs à la fin ? « L’enfant sentit le froid des hommes plus terrible que le froid de la nuit. C’est un froid qui veut… La loquacité de la nuit n’est pas moins lugubre que son silence. On y sent la colère de l’ignoré. La grammaire, cette logique, n’admet pas le singulier pour les ténèbres. La nuit est une, les ténèbres sont plusieurs. » Et c’est sur les flots, dans leur courant, sur une mer trompeuse, bientôt démontée, que le péril avale tout, peut-être pas tous.

L’homme qui rit – Victor Hugo – Editions Gallimard