Un endroit comme une réserve de silence…
Bérengère Cournut
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction pour son prochain livre.
C’est un endroit sauvage. Étrange et beau, comme une réserve de silence. J’y ai vécu les feuilles d’or des érables et des chênes, la pluie qui mouille à peine – l’automne finissant. Partout il y a des herbes hautes, des chemins bordés de murs recouverts par la mousse. Ici, les pierres parlent d’un temps où hommes et femmes étaient en lien, en partage avec la terre. Partout sont édifiés des abris sombres, désertés, des cavernes pour les animaux, les bergers et les bergères. Aujourd’hui, c’est un endroit habité par une femme dans un corps de cerf. On y suit des chemins que l’on connaît, mais qu’on n’avait pas fréquentés depuis longtemps. Au l’orée du bois, la salamandre attend dans le noir pour rappeler cette évidence : le vivant est là, sous les pierres. Il n’y a qu’à soulever les feuilles et la mousse pour entendre l’eau couler depuis le cœur de la terre.
Ici, rien d’autre ne peut perturber le travail que le passage des saisons. Toutes sont là, derrière la grande fenêtre. On a vu la lumière de l’hiver approchant, on se demande ce qu’elle fut en été, ce qu’elle sera sur la neige. Le printemps, évidemment, doit être une fête. Mais on a aimé voir les arbres se dépouiller à chaque rafale de vent. Si l’on n’avait pas tant à faire, à écrire, à dessiner, on se laisserait facilement happer par le dehors – tout le temps. Mais derrière la grande fenêtre, on tâche d’être sensible à soi, au dedans. Il serait tentant, aussi, de se laisser happer par les livres, naturellement. On sait que l’on va devoir faire un choix. Ma main s’est arrêtée sur Marguerite Yourcenar, et deux occupants du lieu. Nous ne formons pas une famille – mais nous sommes une maison. De pure fiction.