Toutes les passions en chacun de nous
L’île au trésor – Robert Louis Stevenson – Editions Folio
La scène se passe dans un temps à la fois proche et si lointain. Un petit garçon demande à son grand-père quelle est la plus belle histoire jamais racontée. Chacun de nous a vécu ce moment, et pour certains, la réponse du grand-père se trouve encore sur une étagère, prenant une place aussi dérisoire dans la bibliothèque qu’elle est gigantesque dans la mémoire. Avec un de ces sourires généreux et mélancolique dont les vieilles personnes ont le secret, le grand-père se lève et, de sa bibliothèque, quelle que soit sa taille, il en extrait un livre que lui avait confié son propre grand-père en son temps. Alors, il dit à l’enfant : « je crois bien que c’est celui là : L’île au trésor ». Bien évidement, la scène n’a pas l’exclusivité des petits garçons et de leurs grands-pères, petites filles et grands-mères vivent la même. Seule change un peu la décoration, la longueur des cheveux et le livre, même si, d’une certaine manière, il est toujours question de L’île au trésor, quel que soit le titre qu’on lui donne.
Pourquoi cette anecdote ? Parce que L’île au trésor, n’est pas le livre de nos pères, il est celui de nos grand-pères. Avant d’être un roman, ce récit d’aventure, puisqu’on le nomme ainsi, a été inventé, raconté de voix d’homme par Robert Louis Stevenson à un enfant qui n’était pas son fils, bien qu’il l’aimât comme tel. Un petit garçon du nom de Lloyd Osborne, enfant de la femme aimée par Stevenson et qu’elle avait eu d’un premier mariage. Peu de livre, si fondateurs, s’imposent en ne faisant aucunement table rase du passé comme c’est le cas avec L’île au trésor, histoire d’abord racontée avant d’être écrite, perpétuant ainsi une certaine tradition orale et dont l’ambition revendiquée est de redire une fois encore, la vieille histoire romanesque comme au temps jadis.
Voilà pourquoi, ce premier roman de Stevenson, est une histoire transmise par des grands-pères et non des pères. Les histoires que transmettent les pères à leurs enfants sont davantage des histoires de prise de pouvoir, de transformation de la société et non d’acceptation du monde et de compréhension de soi-même comme c’est le cas de L’île au trésor.
L’île au trésor est un livre qui possède la douceur et la lucidité d’un grand-père rêvé expliquant l’existence à un enfant. Sans lui mentir sur la nature humaine et sur les relations des hommes entre eux mais avec une bienveillance protectrice afin de préserver, encore un peu, la part d’innocence qu’il y a en lui. C’est un témoignage magnifique de celui qui a vécu, à celui qui va vivre. De celui qui a été à celui qui sera.
L’enthousiasme pour la vie à venir, aussi illimité au yeux d’un enfant que l’est la mer dans le roman, y côtoie la profonde mélancolie du temps qui passe et la connaissance de l’homme. La nature humaine, incarnée par le personnage de Long John Silver à l’intérieur duquel s’affrontent, à leur apogée, toutes les passions, tout l’amour et la haine qui sont en chacun de nous.
Le bateau, la mer, les pirates, l’enfant, le soleil, le trésor, l’île, les sabres et pistolets… tout est métaphore dans L’île au trésor. Au lecteur de choisir et d’adapter le livre à son époque et à sa personnalité.
S’il fallait essayer de dire la magie à l’oeuvre dans ce roman, chacun aurait sa réponse, son interprétation de pourquoi cette histoire lui « parle » tant. Gageons seulement qu’il y aurait un point commun à toutes ces réponses : L’île au trésor célèbre l’union entre des éléments et des sentiments contraires. Il est le livre qui réunit des opposés : le monde d’avant et celui d’aujourd’hui, l’innocence d’un enfant et la barbarie des pirates.
Figure sublime et effrayante, disant à elle seule toute l’humanité, le personnage de Long John Silver, dont l’exotique costume de pirate ne doit pas nous faire oublier qu’il est un redoutable meurtrier capable des pires atrocités, cet homme là, donc, est le trait d’union du livre, abritant en son sein ce que tout oppose : amour et haine, bonté et malveillance. L’humain et l’inhumain.
Une fois la fureur passée, une fois que la poudre a parlé, de cet affrontement entre ce qu’il y a de meilleur et de pire en l’homme, Stevenson fait naître un étrange sentiment de paix. Une douce tristesse. Une légère déception de soi-même, comme le bilan d’une vie qui n’est que ce qu’elle est, avec ses moments de grandeur et de bassesse.
Sous le regard de Stevenson, Long John Silver n’est, in fine, ni un monstre, ni le méchant du livre. Il est un homme, à l’égal du lecteur et de l’écrivain. Un homme capable d’envisager le meurtre d’un enfant et de le sauver l’instant d’après. Capable de lâcheté et de courage, d’honneur comme d’infamie. Un homme qui cherche une place sur cette terre, à la fois vis à vis des autres et aussi vis à vis de lui-même et qui est prêt à tout pour l’obtenir.
La beauté de Stevenson est de forcer un barbare à se regarder à travers les yeux d’un enfant, semblable à celui qu’il fût lui même un jour. Il y a un enfant dans n’importe lequel des meurtrier, nous dît Stevenson, et n’importe quel enfant peut un jour devenir un meurtrier.
Nul besoin de développer pour dire combien la lecture de L’île au trésor est donc éternellement recommandable. A l’époque de nos grands-pères – et des grands-pères de nos grands-pères -, comme à la nôtre.
L’île au trésor – Robert Louis Stevenson – Editions Folio