Ce père qui est un peu la mer…
William Saroyan – Papa, tu es fou – Editions Zulma
Un livre auquel il faut ajouter Maman, je t’adore et l’on aura un peu pénétré l’oeuvre surprenante, attachante de l’encore méconnu William Saroyan que se sont fort judicieusement employés à nous faire découvrir les éditions Zulma. Admiré de Jack Kerouac, Arthur Miller, Tennessee Williams, Saroyan n’a rien à leur envier dans leur commune observation de ces drôles de spécimens que sont les humains. Ajoutez qu’avec Saroyan, l’étrange en devient également drolatique. Et pour faire connaissance : « Selon moi, voici le meilleur conseil qu’on puisse donner à un écrivain : respirez profondément, appréciez ce que vous mangez, dormez pour de vrai. Tâchez autant que possible d’être pleinement vivant, de toutes vos forces, et quand vous riez, riez comme un fou, et quand vous êtes en colère, soyez-le pour de bon. Bref, tâchez d’être vivant. Vous serez mort bien assez tôt. » A son fils qui lui demande : « Qu’est-ce que c’est l’Art », ce père jamais à court de fulgurances répond : « Tout ce que tu vois d’une façon particulière. Tout ce que tu isoles d’une façon particulière. »
Tout au long de ce texte bref qui s’apparente davantage à un récit qu’à un roman, on colle aux basques de ce couple, le père et le fils, au prise avec une réalité tout à la fois âpre – le manque de ressources – et merveilleuse – tant ils en ont de la ressource. Un qui dira à son fils évoquant sa séparation d’avec la mère : « L’amour, c’est tout. Alors, quand j’ai découvert que même l’amour peut se changer en rien, ça, ça m’a épouvanté – une épouvante qui m’a fait fuir en reculant jusqu’au jour avant ma naissance et fuir en avant jusqu’au jour qui suivra ma mort. » Tout ça ne serait rien sans la poésie, elle est naturellement là, réfléchie comme dans un miroir. Ou telle une écume. Il y en a eu des passages, des livres entiers, des anthologies consacrées à la mer mais à lire les quelques lignes que lui consacre l’auteur, on pourrait, se dit-on, ne retenir qu’elles, et l’avoir pour toujours devant nous l’immensité mouvante : « Elle ne s’arrête jamais. Elle avance et elle recule tout le temps, le matin, à midi et le soir, pendant des années et des années. Même si on s’en va la mer continue. Même si on s’en va très loin, là où il n’y a que la terre et aucune odeur de mer nulle part, la mer est toujours là-bas à danser. Même si on va très loin à l’intérieur de soi-même comme quand on va s’endormir, la mer est encore là. La mer, c’est ce qui existe de plus grand, de meilleur, de plus important – c’est quelque chose qu’on peut aimer toute sa vie. » Comme son enfant. Comme son père.
Singulier roman d’apprentissage, de l’adulte et de son fils, on ne sait lequel est le plus enfant. Et comme on l’aime l’enfance en lui indemne et tenace de l’aîné des deux, en cela il est grand, et il est un peu la mer.
William Saroyan – Papa, tu es fou – Editions Zulma