Retourner au reste du monde…
Hélène Gaudy
lors de sa résidence à la maison De Pure Fiction
Je croyais l’avoir manqué. Quand j’ai envoyé ce texte à Isabel, j’avais déjà commencé à faire mes valises, à ranger la maison. Mon train partait dans quelques heures : il fallait m’arracher à la bulle de la résidence, de l’écriture. Je ne pensais plus du tout à lui. J’étais en plein ménage quand soudain, je l’ai vu : le chevreuil, là, tranquille, broutant l’herbe du jardin à quelques mètres de la fenêtre où je l’avais tant guetté en vain. Au début j’ai été timide, incrédule. J’avançais au ralenti. Au moindre mouvement plus brusque que les autres, il levait la tête et me fixait avec une étonnante intensité. Nous restions là quelques instants, moi, balai à la main, dans mon geste suspendu, lui le cou tendu, à son tour à l’affût. Une fois convaincu que je ne représentais aucune menace, il retournait à l’herbe haute. Peu à peu, je me suis remise plus franchement à ma tache, jetant de temps en temps un coup d’œil pour m’assurer qu’il était toujours là. Le plus merveilleux, ça a peut-être été ça : cohabiter sans plus se guetter, se surveiller. Partager quelques heures avec lui. Il est resté toute la matinée, comme pour me dire au revoir, comme pour m’aider à me défaire de ce qui, ici, avait pris toute la place, l’écriture qu’il fallait interrompre, la solitude qu’il fallait briser : comme pour m’aider à retourner au dehors, au reste du monde. Quand j’ai commencé à le voir s’éloigner, je suis allée tordre ma serpillère pour ne pas le regarder partir. Quand je suis revenue, il n’était plus là et j’étais, moi aussi,déjà un peu partie.