Voir New-York et mourir…
Malkia Wagner – Landing – Editions Actes Sud
Deux femmes, une ville et tout un monde. Avec Landing, Malika Wagner écrit un roman visionnaire et comme las de ce qui va arriver et balayer ce qu’il reste d’une civilisation délétère. L’action se passe il y a une quinzaine d’années à New York, bien avant l’élection de l’olibrius, et pourtant il est là déjà, en germe, tel un microbe que rien d’abord ne permet de soupçonner et qui va détruire les cellules vitales, et lorsqu’on le détecte et que l’on veut s’en débarrasser, il est trop tard, c’est lui qui nous détruit. Deux femmes, Joan et Sally Mortenson, et une amitié rien moins que tendre qui doit certainement beaucoup à la lucidité de l’auteure, son regard acéré, volontiers féroce. Par petites touches, elle évoque le danger du tout sécuritaire, le vertige du grand consumérisme, l’ineptie des médias, l’incurie de l’ONU qui n’a peut-être jamais autant ressemblé à la définition lapidaire qu’en a fait de Gaulle qualifiant les nations unis de machin il y a déjà plus d’un demi-siècle. « La façade de l’ONU se dressait dans le ciel nocturne. Les amis qui venaient chez elle trouvaient la vue extraordinaire mais Joan savait que la plupart des gens se contentent de peu. » De Joan qui n’a de carré que son visage « quelque chose dans sa splendide solidité l’effraya. Elle portait une robe farfelue, pas assez ridicule cependant pour devenir intéressante », on retiendra sa défiance des somnifères, « de petites merveilles qui vous transportent pendant huit heures sur une autoroute magique, au début gratuitement mais dont il faut ensuite acquitter le péage, toujours plus couteux, toujours plus fréquemment. » Joan la journaliste en baisse de régime, et pour tout dire condamnée à un régime professionnel drastique en accord avec une vie personnelle résumée par le perçant Andy Warhol : « seuls les êtres très jeunes détenaient le droit de baiser et les autres n’avaient que celui de s’abstenir. » L’intrigue est un prétexte pour passer à autre chose mais on y revient toujours comme dans ces grands magasins à l’image de Bloomingdale’s où fuyant l’humidité régnant sur la ville, « qui s’épanouissait avec la volupté d’une fleur carnivore sur un lac putride » on entre acheter une chemise et d’où l’on ne ressort pas tout à fait indemne. Et il y a Sally, l’universitaire rattrapée par un passé encombrant, démunie devant un fils tout aussi encombrant et sans doute est-elle encombrée d’elle-même. Sally voudrait « se réconcilier avec sa jeunesse et se dire qu’il y avait du bon, du beau, du propre dans son bazar aux souvenirs. Mais le temps avait obscurci les lunettes roses des premières années et travesti les lendemains qui chantent en guignol des occasions manquées. » Seulement les lunettes noires ne lui réussiront pas davantage.
Malkia Wagner – Landing – Editions Actes Sud