Son enfance qui aura été si peu tendre…
Somerset Maugham – Servitude Humaine – Editions Julliard
Après avoir perdu son père un jeune garçon perd sa mère, il a un pied bot, c’est assez pour quitter tôt le rivage de l’insouciance, trop tôt. On va le suivre dans ce moment de la formation d’un individu, ce qu’il sera, ce qu’il en fera.Celui-là boîte mais plus encore c’est sa vie qui claudique tant il ne s’aime pas. « Elle l’aimait d’un nouvel amour parce qu’il venait de la faire souffrir. » Ces mots lui vont comme un gant, lui qui s’ingénie à se décevoir, familier de l’échec, il semble en rechercher les affres jusqu’à les provoquer. Dans ses études, dans ses amitiés, et dans cet amour pour une sotte, une créature assez repoussante et absolument vile, elle va lui déchirer le coeur, et le lecteur pourrait s’en agacer tant notre héros réclame d’être maltraité. Il a cependant le courage de sa pureté, et elle est profonde, résistante, elle l’élève, lui qui voudrait tomber, et quand il tombe, elle le ramasse tant il a le désir « d’extraire de chaque moment l’émotion qu’il peut receler. » Dans ce roman d’apprentissage qui emprunte beaucoup à sa vie, Somerset Maugham explore les méandres d’une âme jeune, tourmentée, intense qui ne cesse de s’interroger sur cette servitude humaine : notre passage ici bas, qui donne son titre à un livre âpre à force de renoncements et d’erreurs, d’errances. Jusqu’à l’expérience éprouvante de la faim et l’on pense au Marius des Misérables d’Hugo. Sur le point de fausser compagnie à cette peau qui l’oppresse et l’assaille depuis son enfance et qui aura été si peu tendre avec lui, le héros sur qui toute cette histoire repose décide ou comprend, certainement les deux, que « s’abandonner au bonheur, c’est peut-être accepter la défaite, mais cette défaite vaut mieux que beaucoup de victoires. » A méditer.
Somerset Maugham – Servitude Humaine – Editions Julliard