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Maison d'écrivains (le Blog)

A livre ouvert avec Marcus Malte

A livre ouvert avec Marcus Malte

« J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends »
L’adieu
– Guillaume Apollinaire

Je ne vais pas en faire l’analyse, je ne sais pas et je n’aime pas faire ça. Simplement dire que, à mes yeux, tout est là : la vie, l’amour, la mort, l’émotion, le temps qui passe, et même un soupçon d’espoir. Je suis touché. Ébloui. Je suis jaloux. Je m’acharne à noircir des pages et des pages pour tenter d’atteindre au même résultat. J’échangerais bien quelques-uns de mes romans contre ces quelques vers. Voilà, c’est dit.

Racontez-nous où commence un livre

C’est d’abord tout simplement l’envie, le besoin de créer quelque chose. Quelque chose qui n’existe pas encore. Quelque chose qui serait beau et qui engendrerait de l’émotion.Ensuite c’est une phrase. La première. Celle qui va me donner le ton et la direction à prendre. C’est tout ce qu’il me faut. À partir de là, vogue la galère. S’il y a d’autres motivations, des raisons plus profondes, inconscientes, qui me poussent à écrire, je les ignore. Et je préfère.

Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de quand on écrit

Pas de rituels à proprement parler, même si c’est toujours un peu la même chose. Écrire me demande beaucoup d’énergie, et c’est en général le matin que j’en ai le plus. Donc je m’y mets tout de suite. Ça dure ce que ça dure. Parfois quelques heures, parfois toute la journée, avec des pauses plus ou moins longues car je ne suis pas capable d’avoir une concentration maximale pendant très longtemps d’affilée. Or, je m’en suis vite rendu compte, l’écriture ne pardonne aucune faiblesse.

Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?

Chet Baker   Crédit photo : DR

Chet Baker
Crédit photo : DR

Quand je lis (comme quand j’écris d’ailleurs), si je ne suis pas dans l’histoire qui se déroule sous mes yeux, si je ne suis pas avec les personnages, dans cet univers à part
entière qui n’existe que dans ces pages, alors c’est que c’est raté. Autant refermer le bouquin et passer à un autre.

Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?

« Tire la chevillette, la bobinette cherra. »

Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains

Ça va bientôt faire vingt ans que je publie des livres, et c’est ma toute première résidence. J’ai beaucoup hésité, je ne voulais pas être séparé de ma famille aussi longtemps. Puis finalement je me suis lancé, et je dois dire que j’ai eu de la chance de tomber sur la maison De pure Fiction. Vous savez comment c’est, une première fois, ça peut être complètement raté. Celle-ci est une réussite : le cadre est superbe, les hôtes sont d’une exquise amabilité (ils me procurent même quelques bonnes petites choses à manger quand je m’arrange pour leur faire pitié). C’est parfait.

Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Midi-Pyrénées, par quels mots répondez-vous ?

Je ne suis pas de la campagne, mon horizon habituel c’est plutôt la mer. Le bleu. Ça me change. Ici, on peut entendre vraiment le bruit de la pluie sur les feuilles. On peut entendre vraiment le silence. Je me rends compte que j’ai encore la capacité de m’émerveiller quand je vois des lapins courir dans un champ, ou tous ces oiseaux dont j’ignore le nom qui s’ébattent dans les arbres. D’une certaine façon, ça me rassure : je ne suis pas totalement corrompu. Ici, on peut se sentir à la fois à l’écart du monde et en plein dedans.

Vous ferez quoi Marcus Malte quand vous serez grand ?

J’écrirai un chef-d’œuvre.


En exclusivité pour le blog De Pure Fiction, un extrait de Fannie et Freddie, le prochain roman de Marcus Malte, à paraître en octobre 2014 aux éditions Zulma.

(…) Elle sort de New York par l’Interstate 95 et entre à nouveau dans le New Jersey. Il ne neige plus. Elle conduit sans forcer l’allure, prenant garde de respecter les limitations. Quelquefois l’éclat d’un phare se reflète sur le verre de son œil droit mais elle ne le sent pas. À hauteur de Kearny elle quitte l’autoroute pour une voie secondaire. Au bout d’un kilomètre à peine les bâtiments disparaissent, cédant la place à la végétation. Elle suit un moment une route dénommée Dinosaur Way, puis bifurque sur un chemin de terre qui s’enfonce dans la forêt. Elle se gare deux cents mètres plus loin au milieu de nulle part. S’il y a des dinosaures, ils demeurent cachés derrière les arbres. Elle laisse le moteur et les phares allumés. À la lueur du plafonnier elle farfouille une nouvelle fois dans son sac fourre-tout et en extrait un étui à stylo en métal. L’étui contient une seringue couchée sur un lit de coton et la seringue contient une dose de liquide transparent. Elle imprime une brève poussée sur le piston, faisant perler une goutte au bout de l’aiguille. Avant de sortir de la voiture elle s’arme également du poing électrique.
L’air est froid et sec. La terre à demi givrée craque sous ses semelles. Elle fait halte devant le coffre et tend l’oreille. Il lui semble percevoir une sorte de grondement sourd qui n’est pas le bruit du moteur, qui est peut-être la lointaine rumeur des eaux de l’Hudson, peut-être son propre sang dans ses artères. Elle relève le battant et la veilleuse du coffre s’allume. Le jeune homme remue. Il essaie de tourner la tête pour la voir, sa bouche s’ouvre mais elle ne lui laisse pas le temps d’articuler un son : elle brandit le shocker et d’entre ses doigts jaillit l’éclair incandescent qui déchire la nuit. L’univers crépite. C’est magnifique et terrifiant. Elle est la déesse, elle commande à la foudre et au tonnerre.
Lorsqu’elle lâche le bouton, une aura lumineuse flotte encore un instant dans l’air. La décharge ne l’a pas touché mais par réflexe le corps du jeune homme s’est recroquevillé au fond du coffre. Il est ébloui, ses paupières papillonnent. Elle dit : Je te conseille de ne pas bouger. De la main qui tient le shocker elle lui plaque le crâne contre le plancher tandis que de l’autre elle cherche et trouve une veine dans son cou et y plante l’aiguille et presse le piston jusqu’au bout. Cela dure moins de cinq secondes. Puis la nuit se referme sur le jeune homme en même temps que le battant.

Marcus Malte