A livre ouvert avec Léa Lescure
Pendant deux mois, Léa Lescure a écrit à la maison De Pure Fiction ce qui sera son deuxième roman après Les nuits mélangées publié aux éditions kéro. Au cours de toutes ces semaines avec son texte, elle aura eu des visiteurs silencieux et fidèles, faons et chevreuils ajoutant au mystère de ce qui se tramait là : un livre.
Racontez-nous où commence un livre
Ca démarre dans le corps, par une émotion ou une sensation, vécues à l’instant ou remémorées, et dont le chemin m’intrigue. Ensuite, ça marine, ça fermente, s’y ajoutent des intuitions de trajectoires, de relations, d’images et parfois de mots. A ce stade, je n’ai pas encore compris qu’un livre naissait, c’est juste une couleur qui revient souvent. Mais ça commence à se dessiner. Et quand j’ai enfin compris, c’est-à-dire quand je commence à prendre des notes, ça ne me quitte plus : je dors avec, je me lève avec, je mange avec, jusqu’à élucider ce que c’est que ce livre qui est en train de prendre forme.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de quand on écrit
Je préfère écrire le matin, à peine sortie du lit : ça me donne l’impression d’avoir un regard un peu neuf sur un texte dans lequel je baigne depuis des mois, et dont je connais souvent la moindre virgule, comme je me relis beaucoup. Donc, par la force des choses, mon rituel d’écriture est celui de tous les matins, même quand je n’écris pas : ça commence par un café, suivi en général d’une cigarette, sauf quand je me promets d’arrêter. J’écris généralement sur ordinateur, généralement assise à une table, mais le temps de l’écriture n’est pas nécessairement un moment plein de mots couchés sur papier, il contient aussi beaucoup de relecture, beaucoup de recherches, beaucoup de rêverie. C’est un temps qui m’avale : il m’arrive souvent de sortir du texte et de réaliser qu’il est plus de 16h00, que je n’ai pas encore déjeuné et que j’ai faim depuis plusieurs heures.
Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?
La lecture est paradoxale : c’est à la fois un abandon total et une présence absolue. Je lis énormément depuis que je sais le faire. La danse m’a amenée à vivre dans plusieurs pays et à voyager très souvent ; tout comme, ensuite, mon activité de journaliste, qui me conduisait à être un mois sur deux en reportage à l’étranger. A cela s’ajoute ma très mauvaise mémoire du temps : spontanément, je suis difficilement capable de situer une époque dans une année ou une saison, il faut que j’y réfléchisse. Parmi tous ces déplacements et tout ce temps, la lecture me semble non seulement être ma seule constante, mais aussi mon ancrage le plus fort, c’est-à-dire que je m’y sens tellement présente que la chronologie des souvenirs de la vie vécue s’attache à celle de la vie lue : je me dis, j’ai rencontré telle personne alors que je relisais Sylvia Plath ou, j’ai vécu tel moment à l’époque où je découvrais Annie Ernaux.
Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?
« Oh! », ou alors « Ah? »
Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains
J’ai souvent été en résidence de danse, parfois en résidence de recherche pour journalistes, mais mon séjour à la maison De Pure Fiction est ma première résidence d’auteur. Tout commence par la lecture d’un appel à candidature, et une forte envie de nature, et de France (je vis en Allemagne), de silence et d’immersion totale dans le texte. Isabel Desesquelles, à travers les quelques mails échangés alors, m’a immédiatement fait aimer ce lieu. Depuis que j’y suis, c’est le ravissement continu d’un temps libéré et de la nature à perte de vue.
Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Midi-Pyrénées, par quels mots répondez-vous ?
Sérénité ? Emerveillement ? Ecriture ? Voie lactée ? Caselle – ces abris de berger en pierres – les farçous du boucher de Cajarc, les asperges du marché et les parts de pastis de la boulangère ?
Vous ferez quoi Léa Lescure quand vous serez grande ?
De mon mètre soixante-quatorze, j’estime l’être. Et en ce moment, je réponds à ce questionnaire.