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Maison d'écrivains (le Blog)

Les petits baptêmes…

Les petits baptêmes…

Julien Dufresne-Lamy lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction pour Jolis, jolis monstres.

J’ai dix ans et je donne des noms aux choses. Je baptise mon bureau Octave, le marteau de mon père, Stella et c’est une sage décision. Je surnomme mon T-shirt préféré en poly-mélange, Centaure et sans l’ombre d’une hésitation, mon premier ordinateur s’appellera Berthe. Octave et Berthe m’entendent, me regardent, ils sont vivants, éprouvent des sentiments et je fais attention à ne jamais les froisser quand je suis d’humeur, moins conciliante.

Dix ans plus tard, je me rebaptise, traversée d’un miroir. Moi, c’est Alice, tout est faux et tout est vrai. Cinq livres passent et je pose Berthe, quatrième génération, mémoire vive et sans jeu orthographique, dans une petite maison entourée de cailloux blancs. À l’intérieur, je découvre le Bureau majestueux au visage porcelaine, son plan de travail rescapé des sciences et des expériences. Dehors, la terre est plombée de chaleur, comme passée au tamis à la fin de l’été. Je la piétine sans chaussure pour saluer le Hamac, la Piste aux Etoiles, je crois, et tout au bout, comme au bord de la falaise, la Grande Table qui regarde les couleurs de l’horizon sans jamais craindre
l’hiver.

Plus loin, quand on remonte le Grès au-delà de la Petite Ferme, il y a le Chemin des Cowboys. Comme les autres ici, ils n’ont pas de prénom mais des majuscules et je les vois, roublards et un à un. Les Cowboys portent des Stetson à la bordure élimée ou des chapeaux Pork-pie. Ils sifflent. Ils cambriolent le paysage et tout à coup, des Tumbleweeds et des tisons de Satan viennent découper le western. Je remonte le chemin, le mal aux dents, je surnomme les maux aussi, comme les grands ouragans, mais je garde celui-là sous silence de peur qu’il revienne m’envahir. Sur les routes
indulgentes, j’aperçois quatre biches, une salamandre prenant la pose, un animal vert zigzaguant sous un bosquet d’épines et bien sûr que le baptême me démange. J’y pense tandis que je pédale sur le vélo qui tousse contre les milliers de cailloux blancs. Je l’appelle Gérard, le vélo, ça lui ressemble vachement.