A livre ouvert avec Aline Kiner
Après deux romans Le jeu du pendu puis La vie sur le fil publiés chez Liana Lévi, Aline Kiner a trouvé en la maison De Pure Fiction cet été un lieu de paix pour y écrire son troisième roman dont les héroïnes du XIIIème siècle, des béguines, n’auraient certainement pas renié l’atmosphère propice à la méditation et la création.
crédit photographe : Sophie Bassouls
Racontez-nous où commence un livre
Dans l’envie… puis dans la vie !
Pour Le jeu du pendu, j’avais envie de raconter mon pays – la Lorraine – et ma famille – les Gueules jaunes. Les failles de l’occupation, durant la Seconde Guerre mondiale, et celles de la terre, travaillée, rongée par les mines de fer. Comment les relier ? Je me suis souvenue d’une histoire que m’avait racontée mon père. Lorsqu’il était enfant, en Alsace, alors que les Allemands venaient à peine de quitter le village, on a retrouvé au petit matin, pendu au chêne de la grand place, l’instituteur, un collaborateur. Cette histoire me fait encore frémir. Elle a été l’amorce, le petit bout de fil – ou de corde ! – sur lequel on tire, et auquel s’accroche tout le reste – l’intrigue, les personnages …
Pour La vie sur le fil, l’envie était d’évoquer notre rapport au temps – le temps court, celui d’une vie, et le temps long, de tous les hommes qui ont vécu avant nous. Je voulais parler de l’Egypte, de ce site incroyable d’Abydos où j’avais séjourné durant une semaine magique : une maison de fouilles isolée au bord d’un désert où est née la civilisation égyptienne, pharaon, l’écriture, l’idée d’immortalité. Mais je voulais aussi évoquer une amie sculptrice, Elisabeth Daynes qui reconstitue des hommes préhistoriques pour les grands musées du monde. Complexe… Et puis un jour m’est arrivée une étrange aventure. Alors que j’étais assise à la terrasse d’un café, j’ai entendu un bruit que j’ai mis longtemps à identifier. La sonnerie d’une cabine téléphonique, qui s’arrêtait puis reprenait. Je me suis demandé : que se passerait–il si je décrochais ? J’avais le début de l’histoire.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de quand on écrit
Je n’ai pas de rituels, si ce n’est une tasse de thé ou de café à portée de main. Lorsque ma chatte, Toumaï, est installée à côté du clavier, c’est encore mieux. Mais là, tout dépend d’elle.
Sinon, il faut que je crée ma bulle. Et que j’y déambule. Air, lumière, silence. Dans ma chambre, porte close, sous le ciel des Velux. Des allers-retours du lit au bureau. Et bien sûr, idéalement, dans une maison isolée en pleine nature. Là, la bulle s’élargit aux dimensions du paysage. Je dispose ma table de travail face à une fenêtre avec vue, j’écris, me lève, fais quelques pas, me rassois, me relève, sors. L’histoire me pousse parfois sur de longs chemins. Mais j’emmène ma bulle avec moi. Et tous mes personnages. Qui progressent au rythme de mes pas.
Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?
Je m’abstrais très vite. Je m’oublie. Je suis dans cet espace étrange de l’histoire : concret et pourtant fictionnel. Des paysages, des odeurs, des lumières, des sentiments, des êtres que je sens présents, à presque les toucher, alors qu’ils ne sont faits que de mots. C’est une expérience qui continue de m’étonner et que je peine à décrire. Pour moi, elle ressemble un peu à celle de l’écriture. Une sorte de vie parallèle, dans un monde parallèle. Misha Gromov, un génie des mathématiques, disait : « Vous entamez la lecture et votre conversation avec l’univers commence ». Il y a de cela. Le « tout près » du livre que l’on tient dans ses mains, et l’immensité dans laquelle il nous plonge. Rien ne limite cette immensité, si ce n’est notre imaginaire.
Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?
» Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube. » Une phrase que je dois au poète Aimé Césaire.
Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains
C’est d’abord, pour moi, un cadeau d’une immense générosité. Me voir offrir un lieu où je pourrai, en toute liberté, en toute tranquillité, en toute solitude, m’adonner à ce que, la plupart du temps, je vole au reste de ma vie : l’écriture. Je m’y glisse et me laisse faire. Sans contrainte. Les mots jaillissent dans le silence, se cognent et, comme des silex, font jaillir des étincelles. Mes personnages peuplent ma chambre, ils me réveillent la nuit, mais ce n’est pas grave, dehors il y a un jardin et des étoiles dans le ciel.
Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Midi-Pyrénées, par quels mots répondez-vous ?
Transparence, lumière, parfums d’herbes aromatiques et de fleurs. Rudesse et force. Je ne connais pas vraiment cette région. J’imagine des paysages comme je les aime, rocailleux, minéraux, ouverts sur le ciel. Des villages médiévaux, perchés sur des promontoires. Des vallées verdoyantes et fraîches.
Vous ferez quoi Aline Kiner quand vous serez grande ?
J’écrirai.