Henri James est une muse…
La coupe d’or – Henry James – Editions du Seuil
Relisant Henri James après une première lecture de son oeuvre il y a deux décennies, on est entraîné au plus profond de soi et du monde, à le voir fouiller ainsi la moindre des actions de ses personnages. Ses héros sont tellement les mêmes, nos contemporains, livrés à des ressorts semblables et l’on voit ici tout ce qu’aura retenu ce grand écrivain bien plus européen qu’américain de sa lecture d’un de ses maîtres avoué : Balzac. Dans La coupe d’or, James se collette de front et sous toutes ses coutures à la comédie humaine résumée à un quatuor, un père et sa fille, et leurs conjoints respectifs, auquel il convient d’adjoindre son choeur tragique en la personne de l’inénarrable Fanny Assingham, amie dévouée de chacun, mauvais génie de tous.
Virtuose de la dissection des âmes et de tous les organes qui les façonnent, l’auteur donne la parole tour à tour à ses héros, parole toute intérieure qui éclabousse et use de méandres pour conduire une guerre muette et dévastatrice. « Discuter était devenu en soi un danger : il en filtrait une telle lumière, comme à travers des crevasses ! » De quoi s’agit-il ? D’un couple de puissants, père et fille, incestueux des sentiments, qui ne se demandent même pas si tout s’achète, ils achètent. Un prince Florentin pour la fille, une amie de jeunesse de ladite fille pour son père. Sauf que les deux précieuses marchandises en question s’aiment sans compter. « Ce que je veux, c’est que tu n’oublies jamais que j’ai fait cela… et donc que tu ne puisses jamais être débarrassée de moi… En d’autres termes m’être trahie, et l’avoir fait volontairement, pour rien. C’est tout. » C’est tout Charlotte. Quelques centaines de pages plus tard, il ne s’agit plus du Prince et de Charlotte, mais de la Princesse et de son père Adam Verver. « Quand on aime de la façon la plus insondable et la plus ineffable de toutes… alors, on est au-delà de tout, et on ne peut être démoli par rien. » Et ce n’est pas rien que Maggie.
Tout est gouffre dans cette histoire d’un double adultère ou quasi, aucune carte sur table jamais mais tout est joué. A cet égard, la scène nocturne qui, à l’issue d’une partie de bridge, voit les deux rivales Maggie et Charlotte s’affronter à coups pas du tout mouchetés se lit et relit des dizaines de fois, de la même façon que l’on observe une fleur s’ouvrir, bien plus encore si elle est vénéneuse. On penche volontiers pour Charlotte la fougueuse, la risque-tout et cependant après ce chapitre tout est dit de leur duel. Maggie dont la coupe, aussi d’or soit-elle, est pleine d’une cigüe invisible la fera avaler jusqu’à la lie à sa rivale sans qu’aucune tâche – visible- ne les touche tous.
La coupe d’or – Henry James – Editions du Seuil