Faillible Isabelle, si faillible…
Un portrait de femme
Henry James – Editions Stock
On dit des livres qu’ils sont les meilleurs compagnons, celui-ci est le compagnon d’une vie. A lire et relire, reprendre sans pouvoir s’en déprendre, tant il nous dit nous, et va loin, le plus loin, disséquant la complexité humaine. Portrait en pied d’Isabelle Archer, une jeune américaine venue en Europe pour, croit-elle, être libre. Elle se leurre, elle-même est un leurre pour toute une galerie d’individus : Osmond le visqueux, bientôt son mari que l’on voudrait pouvoir lui interdire, madame Merle l’incommode, ambigüe au possible, vénéneuse, tragique finalement. Ralph Touchett, le cousin d’Isabelle, à qui elle doit d’être fortunée, et elle y laissera ses espérances. Cet homme condamné, éperdu, dont tout le coeur se consume pour sa froide cousine nous offre dans ses adieux la scène la plus déchirante qu’aura écrit Henry James dans son oeuvre pourtant ample. Quoique son héroïne en dise – « elle gardait l’espoir infini de ne jamais faillir. » – Isabelle Archer se fracassera au contact d’eux tous et s’y fissurera « la souffrance, chez Isabelle, constituait un état actif : ce n’était pas une stupeur, un désespoir, un refroidissement de la vie ; c’était une passion de pensée, de raisonnement, de réponses à toutes les excitations. » Que l’on ne s’étonne pas que l’Italie ici ne soit que ruines et souillure d’un attrait lancinant.
Il y a encore ceci dans ce livre, une ellipse narrative chère à l’auteur, et qui est un vertige pour le lecteur, les pages défilent, on lit en ne sachant pas que l’on sait, ne se le formulant pas, et pourtant on a deviné, tout ce que James n’écrit pas on l’a lu, c’est troublant, c’est la chair même du roman, donner à lire l’invisible.
Un portrait de femme – Henry James – Editions Stock