J’ai regardé les souvenirs…
Hélène Gaudy
lors de sa résidence à la maison De Pure Fiction
À la radio, j’ai entendu un homme qui avait vécu en haut d’un arbre rappeler l’origine commune des mots « affût » et « affûter » : comme lui, j’ai fait en sorte d’affûter mon regard. Le bureau est devenu un point de vue : à chaque mouvement, je levais les yeux le plus lentement possible au cas où le chevreuil, lui aussi, aurait guetté ma présence. J’observais l’ombre des arbres, aux branches couvertes d’une mousse presque bleue. Certaines de leurs excroissances avaient un bombé plus tendre et soudain je distinguais les oiseaux, ces points névralgiques de l’arbre, ces multiples cœurs qui battent. J’ai regardé les pierres, les fleurs sorties d’un coup avec le printemps et l’étendue brossée, fondue comme cendre, du versant qui me faisait face. J’ai regardé les souvenirs qui montaient de loin. L’écriture est venue, pas le chevreuil, mais elle est née de son absence, de cet affût, de cette attente. Lui aussi, je le remercie.