L’âme, la grande affaire…
Les Misérables
Victor Hugo – Editions La Pléiade
Après avoir lu Les Misérables, on ne laissera plus jamais quiconque esquisser ne serait-ce qu’une moue à l’évocation d’Hugo, immense écrivain. On ferraillera s’il le faut avec tous ceux qui vous répondent Flaubert quand on a le mauvais goût selon eux d’admirer la prose Hugolienne. De son exil à Guernesey, terminant debout dans sa cristal room ce roman somme commencé des années plus tôt, abandonné, puis repris et porté au sommet, Hugo fait de ces pages son gueuloir à lui et comme elles résonnent. Ses Misérables sont nos contemporains avec : « toujours encore plus de misère en bas que de fraternité en haut. La société répond de la nuit qu’elle produit. Cette société humaine si formidable pour qui est dehors, si effroyable pour qui est dessous… Inexorable dans l’indifférence. » A notre temps il manque un évêque de Digne, « trésorier de tous les bienfaits et le caissier de toutes les détresses. »
Dans une sorte de prologue magistral, de livre avant le livre, Hugo dresse le portrait d’un juste qui voudrait que tout aille mieux dans le pire des mondes, sa clémence, sa compassion, sa bonté toucheront le misérable Valjean, elles essaimeront jusqu’en son âme où va croître une humanité comme Dieu lui-même n’a pas dû en rêver. Prodige de l’écrivain, du démiurge salvateur, tant il est vrai que lire ce roman nous accompagne dans la nuit, il ne nous la fait pas plus douce, seulement intelligible et alors il nous console un peu de nous-même. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine? C’est la société achetant une esclave. A qui. A la misère. A la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte. »
L’âme, la grande affaire d’Hugo, ce roman nous donne à la comprendre, à la saisir, comme rarement. Avec Valjean d’abord, avec Javert, avec Gavroche qui « a dans l’âme une perle, l’innocence, et les perles ne se dissolvent pas dans la boue », elles ne tombent pas tout à fait sous les balles, elles s’élèvent, bien plus haut que la barricade. Avec Eponine, enfin, car sans nul doute, sa mort est une des plus poignantes que la littérature nous ait donné, des plus vraies.
Les Misérables – Victor Hugo – Editions La Pléiade