Accroché au Causse comme un arapède à son rocher…
Guillaume de Fonclare
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction
Aujourd’hui, il pleut, et l’on se trouve surpris. C’est une pluie sauvage et infiniment tonique ; il peut à grosses gouttes, qui frappent le carreau avec violence. Les nuages gris se sont posés sur le Causse, caressant les arêtes de calcaires des collines embrumées. La pluie vaut le soleil ; la nature est si belle qu’on en oublie le froid et qu’on ne désespère plus du beau temps. L’horizon se noie de brume, et la forêt de chênes se perd dans le brouillard. Les moments passent, presque immobiles, un instant est une heure, et les minutes sont des siècles. Au tic-tac des montres répond le flic-floc des flaques, les heures s’épanchent inexorablement en un torrent de pluie.
Le stylo est lourd, et l’on écrit peu. Tout est indolence, fatigue, flemme ; le ciel est trop épais pour consentir un effort, même de plume, même de rien. Il fait froid, un froid humide et pénétrant, qui glace jusqu’aux doigts ; on n’a qu’une envie, sauter sous la couette, se pelotonner sous la couverture, et se réchauffer enfin. Mais la beauté du Causse attrape l’attention, et l’on reste stoïque sur sa chaise à se repaître de la symphonie naturelle qui éblouit les yeux, derrière la grande baie vitrée qui nous fait carapace. Dans notre repaire du Grès, on est tout petit sous la pluie, perdu dans le brouillard, accroché au Causse comme un arapède à son rocher, et l’on se sent heureux.
Lorsque Midi vient, le voile gris se déchire pour faire place au bleu, et le soleil de chasser peu à peu l’humidité qui traîne, dans les vallées, les vallons, les anfractuosités de calcaire. Les nuages glissent les uns après les autres sur les collines emmitouflées de chênes, et la pluie s’en va en un cortège grisâtre. Bleu pastel, gris souris, les couleurs s’emmêlent, les arbres phosphorescents de lichen se noient dans un vert brillant ; c’est le bleu qui l’emporte, et le ciel devient d’été. Il ne fait pas bon, pourtant ; le vent mauvais qui a chassé les nuages s’est fait glaçant. Si l’on sort, c’est empêtré d’une écharpe et d’un lourd manteau ; si l’on reste, c’est cloîtré au coin du radiateur. On souhaiterait avoir chaud, et c’est le froid qui guette. Au loin, les nuages finissent de s’enfuir, et de se perdre dans un grand ciel bleu.
L’après-midi se veut plus clémente, et l’on peut marcher un peu. Le chemin est de boue et de roche mêlées ; un mur de pierres sèches me fait cortège tout au long de la promenade, un mur défait, disjoint, qui s’écroule de place en place en un torrent rocailleux. L’homme n’a plus sa place ici, il a perdu la partie et c’est la Nature qui a le dessus. Aubépines, orchidées sauvages, genévriers, tout explose de vie en ce début d’avril, et au loin, l’aboiement d’un chevreuil attire un moment l’attention. On ne marche pas vite, on prend son temps ; tout n’est que beauté et harmonie, les parfums respirent la pureté, l’air est vif et profond, rien ne vient troubler la douce quiétude qu’on sent monter en son cœur. En une heure, on fait la boucle qui court autour de la colline, et l’on rejoint la maison l’esprit clair et les jambes flageolantes. On est heureux d’avoir fait ce que l’on rêvait de faire, une heure de marche sans trace d’un être humain.
Le soir tombe, et le soleil se fait orange, rouge, violet ; il embrasse une dernière fois les monts et vallons, avant de se noyer tout à fait dans l’obscurité. Une à une s’allument alors les étoiles, qui font à Minuit une voûte luminescente comme nulle part ailleurs en France ; un grand tapis d’étoiles qui scintillent doucement, dans un concert de coassement des crapauds à la mare d’en bas. Au loin, une chouette hulule, il fait froid. On rentre manger sa soupe de légumes achetés au marché hier, une belle soupe des légumes d’ici, une soupe de saison, sans prétention, mais au goût du bonheur. Au matin, on se lèvera avec les poules, et l’on entendra le coq dans le lointain rameuter la basse-cour.
La nuit sera bonne, comme toutes les nuits sur le Causse. Demain, c’est le cœur léger d’un grand plaisir qu’on reprendra la plume, et elle volera d’un feuillet l’autre, le regard perdu sur l’horizon, la tête encore dans les étoiles.