L’amour est un sarment, l’amour est fragment…
Nouons-nous – Emmanuelle Pagano – Editions POL
« J’ai tellement envie d’elle, parfois, que mes jambes tremblent. Comme si je venais de naître d’une biche et que j’essayais de me lever. » Il y a là des fragments. Des fragments de quoi ? De vies secrètes, pleines de minuscules qui nous enserrent et que rien ne pourra dénouer, sauf à les reconnaître. De ce que l’on tait et qui hurle en nous, de ce que l’on sait et que l’on dissimule, surtout à soi. Et pourtant beaucoup est là, dans ces pages. Est-ce pour cela qu’il y a une telle résonance à lire Emmanuelle Pagano ? Car ce fragment d’une voix, la sienne, résonne durablement en nous en de multiples échos qui sont comme des pincements, parfois une morsure que l’on n’a pas voulu saisir et qui nous lance, nous assaille. Avancer dans ce livre, c’est d’une certaine façon, accueillir des indicibles tant l’auteure excelle à nous les révéler. « Ses clavicules sont des petites clés que je fais tourner du regard pour ouvrir son corps et ça marche toujours. » Si le charnel ne se décrit pas mais se ressent, dans ce texte comme dans nombre de ses autres livres, Emmanuelle Pagano le dit, bien plus, elle l’écrit, et parvient à nous le faire toucher, l’absorber; c’est rare, on s’y déploie, et c’est une lame qui soulève et vous retourne. « Nous avons la même morphologie, même taille, même silhouette. Je peux me cacher derrière elle. Elle derrière moi. Au soleil nos ombres se trompent de corps. » Chaque fragment est en soi une courte, très courte nouvelle, avec sa chute, elle embrasse toute une idée, en prolonge notre pensée. Et revigore. Il est somme toute rare le plaisir voluptueux à s’emparer d’une langue, forte de désirs. Jouissons de celle d’Emmanuelle Pagano car elle nous densifie et nous catapulte vers un horizon très ouvert, tous ces livres d’elle encore à lire.
Nouons-nous – Emmanuelle Pagano – Editions POL