On lit sous emprise…
L’emprise
Marc Dugain – Editions Gallimard
Le livre est habile, bien ficelé, et l’auteur ne boude pas le romanesque pour dire l’opacité, les travers et les méfaits de nos puissants. Il n’a pas son pareil pour appuyer là où ça fait mal : « Dans un métro bondé, il se félicita de ne jamais avoir habité la capitale. Les gens laissent filer beaucoup de leur âme dans ces flux impératifs du matin et du soir. Cette promiscuité obligée ne faisait que renforcer le sentiment déjà à la mode que l’autre n’est au mieux qu’un encombrement. Son esprit s’arrêta un instant sur cette contradiction des sociétés modernes qui créent un degré étonnant de dépendance entre les êtres tout en les éloignant les uns des autres, comme s’ils se reprochaient de se devoir quelque chose. » Après Une exécution ordinaire avec Staline pour figure centrale et La malédiction d’Edgar dont le héros n’était autre que Hoover et sa CIA, c’est à d’autres maîtres du monde que Marc Dugain s’intéresse.
Cette fois, à l’exception d’une brève incursion en Irlande et au Canada, on ne sort pas de l’hexagone où un candidat à la présidentielle, un agent des services secrets, un directeur du renseignement intérieur et le patron du nucléaire français se menacent, se heurtent et… se réconcilient : « La question de la rancune en politique est une question centrale, comme dans tous les milieux où l’on ne parvient à ses fins qu’en éliminant les autres. Launay avait médité là-dessus. La rancune lui posait problème pour la promiscuité qu’elle installait avec la personne qui en était l’objet. Il ne voulait pas vivre avec Lubiak. Il ne voulait pas le savoir présent à ses côtés quand il dormait ou quand il couchait avec Aurore. Il ne voulait pas qu’il prenne dans son esprit une place que lui-même n’aurait pas espérée. »
Les dialogues sont incisifs avec un humour distancié qui séduit. Les péripéties successives que déroule l’histoire fonctionnent, et l’auteur, on le devine, voit juste dans cette autopsie d’une civilisation qui n’est même plus moribonde tant elle est froide ! Il y a ici de savoureux portraits et la palme revient à Corti, grand manitou des services secrets français et Corse, amateur de belles cylindrées sur lesquelles il a l’illusion de s’échapper dans ses montagnes : « Il ne saluait jamais personne, pas même les puissants. A bien y regarder, il ne disait jamais bonjour non plus, pas même au téléphone. Une façon de passer dans la vie, sans commencement ni fin. Une façon de reconnaître qu’il n’était qu’une parenthèse. Avant lui, ses parents avaient été bergers dans la montagne. Après lui, ses deux fils le navraient. Il n’avait été qu’un sursaut dans la généalogie. »
A noter que la suite, Quinquennat, est sortie au printemps avec pour effet immédiat l’attente du prochain et dernier opus de cette trilogie.
L’emprise – Marc Dugain – Editions Gallimard