Le grand livre rouge…
Quand le diable est sorti de ma salle de bain
Sophie Divry- Editions Noir sur blanc
Ca dépote comme on dit, tant ce roman, en roue libre, parfaitement contrôlé, vous propulse dans une planète littéraire d’une liberté rare. Qui plus est, ne pouvoir terminer un chapitre sans sourire, quand on lit un livre sur les tribulations d’une chômeuse est un exercice périlleux, et tel les meilleurs acrobates l’auteure l’emporte haut la main, on applaudit. « Dans la catégorie des pires boulots du monde, téléprospecteur peut concourir pour la palme interplanétaire ; c’est le métier de l’inutilité et de l’emmerdement de son prochain joint à la pollution sonore et à la déformation du langage par la communication ; je me demande dans quel cerveau de casse-couille congénital ou de commercial péteux est née cette idée de vendre des services par téléphone en bafouant les règles les plus élémentaires de la politesse qui consiste à ne pas déranger les gens. » Ce texte d’une acuité féroce est tout en rupture, en déviations et en dénivelés, ne nous épargnant rien aussi de la violence qui est faite à qui est sans emploi, sans revenus : la faim, la solitude sociale rôde et vous guette. « La vaisselle de mon repas fut vite expédiée. Une tristesse propre et sèche m’accabla. Combien de temps encore à me débattre dans ce monde emmuré ? »
De Sophie Divry, on avait déjà salué le roman précédent La condition pavillonnaire où tout comme dans ce nouvel opus, elle faisait montre pour ses personnages d’une affection corrosive doublée d’une tendresse qui nous bouleverse quand on s’y attend le moins, comme ici certaines pages sur l’enfance enfuie, le temps de l’innocence voué à devenir celui du désenchantement. Il y a tout l’art d’un grand écrivain dans ces pages malignes, enlevées, brutales et frontales aux prises avec l’errance morale du chômeur. Votre mère vous invective, vos factures sont des bombes même pas à retardement, votre grille pain vous supplie, l’écrivain Pierre Bergounioux déraille et votre diable personnel tout droit sorti de la salle de bain vous harcèle : « On n’est pas au Parti socialiste ici. Moi, je fais les choses franchement – crânement. Quand je brise, je brise. Quand je mensonge, je mensonge. Quand je déchire, je rupture, je scène de ménage, je reproche, je manque de confiance et je soupçons… Bon, les moldus, dit-il en crachant par terre. Je me casse. But I’ll be back ! Et Lorchus enfin s’envola, emportant le dossier RSA » comme un beau diable en bon petit diable qu’il est. Précisons toutefois qu’avec ce livre l’on est plus proche de Federman, Joyce et consort que de la comtesse de Ségur ! Et ajoutons que l’onanisme y est roi.
Quand le diable est sorti de ma salle de bain – Sophie Divry- Editions Noir sur blanc