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Maison d'écrivains (le Blog)

Quatre hommes – quatre fils – et une veuve…

Quatre hommes – quatre fils – et une veuve…

Un faux pas dans la vie d’Emma Picard
Mathieu Belezi – Editions Flammarion

Fin 19ème, au début de l’implantation des français en Algérie, les fonctionnaires de l’administration française savent convaincre les paysans pauvres de s’installer en Algérie, pour défricher les terres hostiles et faire de ce pays récemment conquis par la France, un pays de cocagne. Emma Picard, veuve de Gustave, décide de partir avec ses quatre fils pour ce pays afin de s’y établir dans une ferme de vingt hectares à faire fructifier pour nourrir ses quatre fils. Du premier pied posé sur la terre promise, jusqu’au dénouement, le roman se développe dans une atmosphère hostile. Il fait trop chaud l’été et les récoltes brûlent, l’eau manque dans les puits, il fait froid l’hiver et on est coupé du monde, le sirocco dévaste les champs. La vie s’organise avec Mékika, au service de celle qu’il nomme « la patronne », il est à son service pour faire de cette terre rude un lieu prospère, protéger Emma et ses quatre fils des autochtones et d’une pacification pas encore exactement accomplie. Le paludisme emporte Joseph, vingt ans, la mère essaye de faire face avec ses trois fils restant. « Je racontais la folie d’un été de malheur où rien ne nous as été épargné, les sauterelles, la sécheresse et la mort de Joseph, je racontais la nuit hostile et pleine d’embûches qui pesait sur nos champs ravagés, notre puits à sec, le toit de notre ferme recroquevillée de peur… Et mes trois garçons qui portaient un brassard noir, et moi dans mes jupons de deuil, et notre Arabe Mékika, tous nous avons retroussé nos manches et sué dans les champs d’automne, tous nous sommes efforcés d’effacer les dernières traces des sauterelles. Bêchant, sarclant, labourant, brûlant la broussaille épineuse. Tous nous avons essayé d’oublier l’été sans pluie, la chaleur sans fraicheur, et le vent qui incendie, et la poussière qui étouffe. Jusqu’à ce que les nuages arrivent et qu’il pleuve enfin, qu’il tombe en une nuit autant d’eau qu’il en était tombé en six mois, une eau trouble, presque tiède, qui a réveillée la terre des champs et le lit des oueds, qui a rempli notre puits, balayé la poussière de sable dans la cour, et redonné du lait a la vache. Le temps qui ne passait plus s’est de nouveau remis en marche. Et le souvenir de la mort de Joseph s’est éloigné moi, comme il s’est éloigné de mes fils. »

Un amant, Jules, éclairera la dureté des temps pour Emma, mais il repartira pour Alger quand son destin l’y appellera, la laissant seule aux prises avec les créanciers; dans l’épreuve quotidienne. Emma, en mère courage, plante, bine, coupe, travaille la terre, achète trois vaches, fait du fromage, envoie les deux derniers fils à l’école quand l’ainé reste travailler la terre, mais l’argent manque, la famine rode, les enfants ne vont plus a l’école, l’ainé prend pour épouse une jeune femme qui a perdu père, mère et frère, et vient trouver refuge dans cette famille de garçons. Jusqu’au dénouement tragique, quand la ruine est aux portes de la famille, la peur et la précarité sont partout, un tremblement de terre écrase les fils et la bru sous la grange effondrée, reste Emma qui croit avoir secouru son dernier fils Léon à qui elle raconte cette si belle et si poignante histoire. « Et depuis je raconte. En attendant que tu veuilles bien te réveiller, mon fils. Je raconte dans quel enfer on nous a jetés, nous autres colons, abandonnés à notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous. Léon ? Léon, tu les entends ? Des bruits de pas, des bruits de voix, ce sont eux, ils sont dans le chemin… Alors je sors de dessous le lit, empoigne le corps mou de Léon qui ne sent pas très bon, il faut bien le dire. Oui, Léon, c’est vrai que tu ne sens pas très bon. Et me précipite dehors et me mets à courir. »

Un faux pas dans la vie d’Emma Picard – Mathieu Belezi – Editions Flammarion