Bienvenue dans l’antichambre glacée du goulag…
Les neiges bleues – Piotr Bednarski- Editions Autrement
Prends garde, lecteur, ce mince volume est addictif. Difficile de le lâcher, impossible de n’y pas revenir. Pour toujours trouver quelque pépite négligée, un personnage, une anecdote, une réflexion hors du commun, pris comme on l’était par l’histoire et l’Histoire, la noirceur, l’amour, la candeur, l’horreur, la peur, l’humour, plus quelques absolus parfaits, le mal, la beauté, la bonté aussi, la bonté qui débarque en dernière page, comme une réponse. A quoi ?
Bienvenue dans l’antichambre glacée du goulag, en Sibérie dans les années quarante en guerre. Là où les proches des condamnés au camp, déportés, livrés à eux mêmes, survivent à l’impensable, dont le pire visage est la menace omniprésente des tentacules staliniennes. En dix-huit chapitres dont chacun est une vraie nouvelle, avec scénario, personnages et chute, Piotr Bednarski brosse un hallucinant portrait de la vie quotidienne en enfer, par la voix d’un petit garçon.
Petia vit seul avec sa mère. Devenu adulte par la force des choses, il a tout compris de la duplicité sans laquelle au goulag il n’y a pas d’issue. Mais parce qu’il a huit ans il réussit à chaque instant à miraculer la chaleur du feu de bois, la splendeur du soleil, le goût d’une croute de pain, les rigolades entre potaches, la possibilité du don, la certitude joyeuse, vissée là où seul l’amour a pu l’ancrer, que la vie est plus forte … parfois.
Petia a plusieurs armes. La tendresse de sa mère, Beauté, oui c’est son nom, son nom comme un étendard claquant au nez des mendiants de sa féminité le droit de ne vouloir qu’un « homme bon ». La foi, inculquée par la lecture mystique de la Bible, dont le Sermon sur la montagne lui insuffle une inoubliable et drôlissime force apostolique face aux inquisiteurs bolchéviques hébétés. L’humour, qui lui fait peindre en lamentable clown le buste de Staline ou coudre à son pull, parce qu’il est amoureux, un cœur rouge en lieu et place de l’étoile. Et la poésie, l’amour effréné de la poésie, par lequel il survit au cataclysme de la mort de Beauté.
La poésie, qui s’accomplit sous la plume de Bednarski comme lecture du monde avant d’en être aussi écriture. C’est une vision sans médiation, une clairvoyance absolue, qui distille en phrases simples de stupéfiantes images, de bouleversantes sensations.
Mais la bonté me direz-vous, vous parliez de bonté ? Oui, mais ça c’est la fin du récit, et je ne peux dévoiler par quel rebondissement ahurissant Petia qui a perdu Beauté, trouve cette anonyme que je nomme Bonté, et avec elle la renaissance, car vous l’aurez deviné, Petia n’est autre que le petit polonais que fut Bednarski, happé en Russie soviétique par les vents mauvais de notre vingtième siècle.
Les neiges bleues – Piotr Bednarski- Editions Autrement