Portrait d’un serial trader…
Joël Baqué – La Salle – Editions POL
Ce deuxième roman se dévore, et même si l’auteur l’écrit page 96 « vous n’êtes pas dans un thriller » et que la figure incarnée par son trader – un Kerviel supposé – devrait nous priver de tout suspens, on lit toute cette histoire d’une traite.C’est froid et délirant, ça cogne dur, et c’en est drôle – à double titre d’ailleurs – . Finance, politique, médias, les trois mousquetaires d’un monde qui leur appartient y sont croqués avec une acuité lapidaire et définitive, tant elle fait mouche. « Elle est incroyable, cette journaliste ! Dire ça ou rien ! C’est censé être une chaîne spécialisée avec des journalistes compétents, et pas seulement blondifères. Si un jour, on les mute au service des sports, elle et sa coiffure hillaryenne, peut-être alors, ayant compris le pourquoi du comment, s’abstiendra-t-elle de préciser, avant un match de basket, que l’objectif est de marquer plus de points que l’équipe adverse en faisant passer le ballon dans le trou des filets. » Ajoutez un premier ministre japonais – qui aurait tout aussi bien pu diriger le FMI tant qu’on y est -, un journal d’investigation, L’Oeil, qui fait dans l’haïku trash, l’un et l’autre seront le grain de sable dans les rouages. Regarde les trader tomber, ce pourrait être ce que nous soufflent ces pages, sauf que non bien sûr, ils ne tombent jamais tout à fait. Le veau d’or est gras en diable et rien ne le carbonisera. Ces trois là, de la finance, de la politique et des médias continuent de proliférer pour le seul Bébé-Fric. En majuscule s’il vous plaît. « Ils voulaient du cash. Un idéal simple et puissant. En ces mêmes années, des banlieues dévastées de Seattle, de ces hangars rouillés, de ses chaussées défoncées et de sa jeunesse shootée, de ces bungalow minables pour mères célibataires et famille définitivement expulsées hors de l’existence ordinaire, de ces maisons bradées mais invendables, de ses flaques de suie et de son crack défonce-neurones, de l’effondrement de ses classes moyennes, du coeur de ses quartiers s’éleva le son prodigieusement rauque du grunge, et apparut cette miraculeuse jaquette de Nervermind où un bébé nage derrière un billet d’un dollar dans l’eau bleue d’une piscine. Vous aviez fait agrandir et encadrer cette image. c’est ce que vous vouliez voir le matin en ouvrant les yeux dans votre chambre. Un grand carré bleu où l’humanité tente de saisir son mirage… L’eau reste infiniment bleue et vide, et le Bébé-Fric plus désireux que jamais de saisir ce beau billet flottant. » Un Bébé-Fric, la Grande Carcasse démocratique et le Grand squelette médiatique, tout conduit le héros de cette histoire et le lecteur à entrer dans La Salle et le ventre du Fox où les milliards valsent. Dans la finance le seul mot valeur dit bien ce que l’on y célèbre et ce que l’on y perd : un sens.
Joël Baqué – La Salle – Editions POL