A livre ouvert avec Patrice Lelorain
Ils étaient deux, l’homme et son chat, en résidence à la maison De Pure Fiction cet automne. L’auteur lit dans le félin, et il l’écrit Dans les yeux de Jade publié cet hiver chez Albin Michel.
Racontez-nous où commence un livre
Je ne saurais dire où commence un livre. Disons que dans un recoin de mon cerveau s’échafaude un travail inconscient et cette affaire peut mijoter des années durant, puis un jour je griffonne une suite de mots sur une feuille, comme une échelle, et cette esquisse de plan me dit si dans le thème apparu je possède la matière. C’est une surprise toujours, un petit choc bien agréable, bien qu’il faille se mettre au travail.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de « quand on écrit »
Pour écrire je dois être caché (les contre-exemples sont extrêmement rares) et, au besoin, je dois recréer artificiellement une solitude. J’ai le souvenir, alors que je dormais ailleurs, de revenir le matin chez moi pour me recoucher, afin de me lever seul, et de débuter la journée vierge… Aujourd’hui que je vis en couple, j’applique la même méthode.
Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?
Quelle que soit l’activité, la concentration aspire le temps, mais elle épuise aussi. Cinq à six heures d’écriture, avec un break, m’essorent gentiment, même si je trouve à la chose beaucoup de similitudes avec l’effort athlétique et la notion d’entraînement. Pour moi, lire et écrire requièrent les mêmes conditions : l’isolement. Las, en général, quand je lis je demeure un écrivain, avec des envies d’interventions. Le vrai plaisir est de redevenir simple lecteur… et ça dépend du livre.
Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?
« Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses. », la sentence d’Arthur Cravan, m’a longtemps représenté. Aujourd’hui j’y ajouterais une fulgurance de Léon Bloy, « les animaux sont entre nos mains le gage du paradis perdu. »
Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains
Sans doute à cause du décors fastueux qu’elle donne à voir, la longue fenêtre rectangulaire du lumineux bureau De Pure Fiction prend pour moi des airs de CinémaScope. Cette amorce de prairie, ces arbres agrippés à un automne si clément, cet horizon de collines vaguement rousses, me transportent en Oregon. Et puisque dans cette verte étendue s’inscrit une épaisse pierre plate, me revient une scène récurrente du western dans laquelle un héros fatigué, un peu à l’écart de son ranch, vient parler à une chère disparue. En plan large, lorsqu’on ne distingue plus l’inscription gravée sur la pierre, cet homme si solide et las donne l’impression de parler tout seul, à moins qu’il ne s’adresse à l’immensité, à Dieu, ou aux entrailles de la terre. Histoire de circonstances, des petits matins de givre aux soirs incendiés, je suis ce cow-boy fané qui s’entretient avec le vent. Peut-être, qu’en réduisant le plan, jusqu’au format d’une feuille A4 (quel drôle d’écran), de cela sortira un texte. Toutefois, je m’en voudrais de réduire l’écriture à une conversation avec les ombres, de m’enkyster dans une posture Célinienne. Voici Jade, notre chatte siamoise, qui a fait le déplacement. Éternel clown mystérieux, elle joue les pumas, la panthère des neiges et, dans une soudaine nonchalance, se transforme en ours polaire, ce qui nous repousse plus au nord, à la frontière de l’Alaska…
Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Occitanie, par quels mots répondez-vous ?
Les horizons splendides exigent de bons voisins, une présence discrète, une attention subtile, telles qu’elle est prodiguée en ce lieu.
Vous ferez quoi Patrice Lelorain quand vous serez grand ?
Quand je serai grand je ferai coureur cycliste, tennisman professionnel, et miler. Je remporterai le Tour des Flandres, Wimbledon, et le 1500 mètres olympique. A trente-deux ans, je tirerai le rideau sur ma curieuse et flamboyante carrière, changerai mon nom, mon aspect, pour jouir en toute quiétude de mon long voyage immobile.