A livre ouvert avec Laurence Nobécourt
Laurence Nobécourt ressemble à ses textes. Toute d’un absolu, ses fulgurances. Un frémissement aussi, et son onde court en nous longtemps, on pose nos yeux sur sa voix et livre après livre on butine une ruche mentale.
Racontez-nous où commence un livre
C’est un mystère qui m’échappe et dont je ne désire pas résoudre l’énigme. Depuis des années maintenant, je travaille sur plusieurs livres en même temps. J’ai toujours un livre en cours – tandis que s’élaborent d’autres textes à venir. En ce moment, j’achève un roman sur lequel je travaille depuis dix ans. J’ai écrit d’autres livres entre temps qui ont surgi sur ma trajectoire, mais ce texte persiste, alors que j’ai déjà les notes du prochain roman sur lequel je veux travailler ; mais aussi un recueil de poésie à finaliser ; un livre sur la littérature et l’écriture, en lien avec Roberto Bolaño, pour lequel je suis en train d’assembler des notes ; et enfin un projet plus lointain – une sorte d’ovni. Je n’ai quasiment aucune note écrite le concernant, mais je sais qu’il va enfler, comme une éponge, au fur et à mesure des années. Plus loin encore, j’ai un projet de roman avec des notes que j’accumule depuis plusieurs années. Écrirai-je tous ces livres ? Je ne sais pas, mais mon désir est là.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de « quand on écrit »
J’écris dans la solitude. J’ai besoin de plages de temps très larges, onctueuses, sans aucun élément extérieur qui les traverse. Sans aucun rendez-vous. J’écris dans mon bureau – c’est un cabanon à l’extérieur de la maison où je vis –, mais il m’arrive aussi d’écrire chez moi quand la maison est vide, que les miens sont absents. Et j’aime aussi beaucoup cela : occuper le canapé, dans cette intimité du lieu de vie, et partir dans le texte.
Où suis-je lorsque j’écris ? Je n’en ai aucune idée. C’est un point de concentration si intense qu’il induit une absence. Un état de présence tel que le petit moi disparaît. En ce sens, l’écriture rejoint la méditation, et je me souviens d’ailleurs avoir lu quelque part que des expériences avaient démontré ceci : que la création artistique induisait des états aussi puissants que ceux engendrés par la méditation. La langue, par l’écriture, nous permet de sortir du temps. C’est l’une des raisons pour laquelle elle est éminemment risquée. Et magique.
Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?
En lisant, je disparais, mais je ne suis pas sûre que je disparaisse aussi radicalement qu’en écrivant.
Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?
Il faut pardonner à la vie de n’être que ce qu’elle est, car ce qui manque d’absolu à la vie est en nous, et les livres sont la marge où s’écrit notre salut.
Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains
Une maison d’écrivains, ce serait le silence, la solitude complète, le bureau au centre de tout, comme le moyeu de la roue du vivant – la roue, la rota, la thora, le tarot – j’aime cette image. Le livre comme l’axe central à partir duquel toute l’existence s’organise – aussi bien la cuisine, que la lecture, le sommeil, etc… ; la nature avec soi, sur laquelle s’appuyer, à laquelle s’abandonner ; une maison loin des Hommes, protégée du désordre du monde, de son fracas perpétuel, pleine de langage et de paix. Oui, cela pourrait être cela un idéal de maison d’écrivains mais cela n’a plus de sens pour moi aujourd’hui, sauf ponctuellement, comme à la maison De Pure fiction où cette possibilité m’a été merveilleusement rendue. Aujourd’hui, j’ai le souci de tresser l’écriture à la vie, que les deux ne soient pas opposées, bien au contraire. Que l’écriture puisse s’inscrire au sein du vivant et inversement. Cela suppose que la solitude soit altérée par le bien-aimé, les enfants, l’ami de passage, que le bureau soit quelque peu déporté du centre, que le rythme soit contraint… tout ce qui m’était si difficile autrefois et que je reconnais aujourd’hui comme un bien, une bénédiction. Car cela signifie qu’un certain espace intérieur a été conquis – où séjourner malgré l’autre, la vie, le vivant qui sans cesse demande à être vécu, réclame qu’on quitte l’écriture. C’est fragile, toujours fragile, et c’est en raison même de cette fragilité que des lieux comme la maison De Pure Fiction sont essentiels : car ils permettent de ré-enraciner cet espace en soi, de lui redonner de la force, de l’élargir…
Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Occitanie, par quels mots répondez-vous ?
La paix. La paix merveilleuse de l’ouvrage qui s’accomplit.
Vous ferez quoi Laurence Nobécourt quand vous serez grande ?
Je n’ai jamais été petite. Ce qui suppose que je ne serai jamais grande.