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Maison d'écrivains (le Blog)

A livre ouvert avec Alexis Anne-Braun

A livre ouvert avec Alexis Anne-Braun


Racontez-nous où commence un livre

Un livre commence pour moi quand j’arrive à écrire la première énumération. L’énumération qui remplit toute la page, qui déborde. Elle n’est pas toujours au début du livre, mais où qu’elle soit, c’est à partir d’elle qu’il faut comprendre le reste : les personnages, les paysages, l’action. Énumérer est une manière de rester fidèle au grand bazar qu’est la réalité. C’est vrai, on ne s’y bat plus avec la grammaire, on peut mettre à côté des noms, des verbes, des types sociologiques ou des émotions morales. Tout ce que le monde est à l’instant où on le regarde – sans hiérarchie, sans causalité.

Avez-vous des rituels d’écriture ? Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de « quand on écrit »

Je ne suis pas concentré quand j’écris. C’est terrible. Je passe sans cesse du document Word à Wikipédia, à la page web du Monde, à mon fil d’actualité. Je peux m’arrêter au milieu d’une phrase et sans justification aucune vérifier les nouvelles du monde ou lire la page d’un livre qui traîne. Souvent d’ailleurs, en apprenant qu’il y a eu une nouvelle violence policière ou un tremblement de terre, la phrase commencée prend une nouvelle direction. C’est vraiment une écriture dérangée. Par contre, je préfère être celui d’où vient le dérangement.

Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?

Je lis des choses différentes, en des lieux différents, à des moments différents. Il y a des livres que je ne lis qu’aux toilettes. C’est une lecture plus morcelée, plus méticuleuse aussi. Évidemment, cette opération de lecture est sans rapport avec la qualité littéraire ou philosophique de ce que j’y lis. C’est un hasard. Il y a d’autres livres qui sont posés sur ma table de chevet. L’opération est différente car il y a la nuit entre chaque coupure et la fatigue qui fait résonner différemment chaque phrase. Enfin, il y a toutes les autres lectures, plus sérieuses, qui se font dans les lieux dédiés : bibliothèques universitaires principalement. Mais là-bas, c’est autre chose. Jamais je n’ose lire pour mon plaisir. De toute façon, dans mon rapport à la lecture, j’ai beaucoup changé. Avant je ne lisais qu’un livre à la fois et je ne pouvais en ouvrir un autre si je ne l’avais pas fini. C’était obsessionnel. Je devais l’emmener partout. Maintenant, je m’autorise à en lire plusieurs, à les éparpiller et même, à ne pas les finir. Il n’y a guère plus qu’en voyage où je lis encore comme cela, de façon obsessionnelle. Ainsi je noue étrangement les livres aux lieux que je traverse. Souvent, de façon tout à fait hasardeuse : Absolon ! Absolon ! au Cap-Vert. Sexus en Arménie. Le journal d’un curé de campagne à Chicago.

Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?

J’aimerais être une phrase proustienne. J’aimerais durer, quitte à perdre les autres et les obliger à me relire.

Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains

J’ai visité la maison d’enfance de Ernest Hemingway à Oak Park, dans la banlieue ouest de Chicago. Enfin…je l’ai vu de loin et m’en suis un peu approché. C’était assez émouvant. Je n’ai pas de vénération particulière pour Hemingway. Son écriture est trop parfaite, trop concise, trop essentielle. Cependant, il incarne pour moi, plus que d’autres, la figure du grand écrivain. Peut-être parce qu’il est américain… comme cette maison, si idiotement et magnifiquement américaine.

Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Occitanie, par quels mots répondez-vous ?

Le Lot est lié à la personne que j’aime, qui a grandi sur ses rives. Je crois que je suis profondément reconnaissant à ce fleuve de lui avoir fait cette enfance, et donc d’en avoir fait cet être-là.

Vous ferez quoi Alexis Anne-Braun quand vous serez grand ?

Enfant, je me suis projeté dans différents métiers. Je me suis rêvé architecte, professeur, acteur, écrivain, jardinier, décorateur de film ou inspecteur de police. J’ai réussi à exercer un métier qui figure sur cette liste, même si j’ai hésité jusqu’au bout. Je parle du métier de professeur car je ne me présente jamais comme écrivain. On est plus facilement écrivain aux yeux des autres, qu’à ses propres yeux. Ceci dit, j’ai toujours envié mon frère qui longtemps a eu un projet d’orientation très clair : vendeur de yaourt. C’était si concret que cela reléguait mes propres désirs à des abstractions.