Bruit du vent, morsure du soleil, cri du chevreuil…
Alexis Anne-Braun
Allez, juste cent arbres et l’odeur du foin. C’est comme une première fois. Le reste je n’en parle pas encore. Je le garde pour plus tard, quand je me serai lassé déjà du royaume des graminées.
J’ai quitté la ville où les gens viennent d’obtenir l’autorisation de sortir de chez eux. A la fin du mois de mai, nous n’en sommes plus à la pornographie des fleurs écloses. Il est devenu difficile de raconter le printemps. Difficile pour des raisons morales, cela s’entend.
Il nous a fallu ces circonstances très extraordinaires, pour nous apercevoir que nous n’avions pas tous le même – comme d’ailleurs nous ne partageons pas le même hiver, ni le même été. Ce n’est qu’un exemple. De toute façon, en arrivant ici la plupart des fleurs sont déjà écloses. Et au fil des jours que je passe, à retenir mes plaisirs, à les étiqueter – « bruit du vent, morsure du soleil, cri du chevreuil » – comme un naturaliste ou un biographe minutieux, un Bouvard ou un Pécuchet, les autres, tous les autres, peuvent aller aussi plus loin. Qu’ils puissent carrément sortir de chez eux est un soulagement. Je rencontre d’autres marcheurs et d’autres solitudes et nos regards ne partagent plus cette honte des exilés.