Nager dans des eaux limpides portant un trouble…
Erri De Luca – Les poissons ne ferment pas les yeux – Editions Gallimard
Après l’avoir admirablement écrite, racontée dans Tu Mio, Erri De Luca revient dans l’île de son enfance, l’île d’un été qui incendie sa mémoire ; son île et son trésor : une fillette. Ne parvenant pas à se souvenir de son prénom, il ne lui en inventera pas tant il désire retrouver la vérité d’un passé qui demeure. « Près de son corps, j’explorai le mien, je plongeais dedans, balloté comme un sceau jeté dans un puits. Il existe dans le corps une neige qui ne fond pas même en plein mois d’août, qui reste dans le souffle comme la mer dans une coquille vide. » Que l’on continue d’entendre des années après, la mer est loin, son rivage invisible mais on ferme les yeux et on la retrouve, on se laisse porter jusqu’à elle, si lointaine et si proche encore. Erri De Luca ne fait rien d’autre dans ce récit que nager dans des eaux limpides portant un trouble : une enfance brûlée de soleil parce qu’un autre que soi vous éveille à ce que l’on est, l’homme ou la femme que l’on sera et que nos dix ans soutiennent déjà. « Je n’étais plus un enfant et en échange j’étais à peu près rien. » Parfois le papillon devient chenille le temps que lui poussent de nouvelles ailes, ce peut être long et on manque sa vie. Celle de l’auteur en contient dix, cent, il l’écrit à mesure qu’elle le traverse. Un jeune garçon rencontre la fillette, ils se reconnaissent lui ami des mots, elle, des animaux. Le garçon en fait tout un silence, elle, toute une histoire, plusieurs même, et ils trouvent là à se défendre des autres, à s’éprendre de l’autre. Ils mangent des glaces, se frôlent et puis ils se goûtent. « La vie ajoutée ensuite, loin de cet endroit n’a été que divagation. » Ils garderont le meilleur pour la fin qui n’est pas advenue et la fillette continue d’être tout, à commencer par être les ailes d’un drôle de poisson.
Erri De Luca – Les poissons ne ferment pas les yeux – Editions Gallimard