La vitesse des arbres immobiles… (suite 5)
Shmuel T. Meyer
lors de sa résidence d’écriture ce printemps à la maison De Pure Fiction
Ce jour-là, on avait pris la route avant le lever du soleil. Je frissonnais dans mes culottes courtes que l’on n’appelait pas encore short. Porte d’Italie, nous roulions vers l’Italie. Je guettais le panneau AUTOROUTE DU SUD et son entame de bitume gris. Puis, la lumière se levait contre ma joue et la laideur des fausses villes s’éteignait. Nous étions, mes sœurs et moi, les enfants de l’Instruction Publique. Après Beaune, apparaissaient de nouvelles plaques minéralogiques. Que nous savions déchiffrer. Et quelle fierté d’afficher blanc sur noir ce 75. La Seine était numérotée. J’aimais aussi le 06 des Alpes Maritimes. Après le tunnel de Fourvière, c’était enfin l’été. Je ne me souviens pas si j’étais le premier à dire : « 12 Aveyron ». Est-ce que je savais que 46 était le Lot ? Est- ce que je gagnais ? On s’arrêtait pour déjeuner à Valence et puis je m’endormais. Et puis mes sœurs s’endormaient. La couverture piquait mes cuisses dénudées. Mon père avait des gants « doigts coupés » fauve et crème. Je le regardais passer les vitesses qui étaient encore accrochées au volant. Et parfois nos regards se croisaient dans le rétroviseur et je lui souriais. Le sud n’a pas de bleu.
Mais noir comme ses yeux.