La vitesse des arbres immobiles… (suite 2)
Shmuel T. Meyer
lors de sa résidence d’écriture ce printemps à la maison De Pure Fiction
La pluie a organisé son grand retour. ( Et il pleut sur le causse comme il ne pleut pas sur la ville. ) La ville, oui, la ville et la pluie sur l’asphalte. Le causse, oui le causse où la pluie engrosse l’herbe et la forêt. ( J’ai appris aujourd’hui qu’il n’est pas bien vu d’adopter un enfant en Turquie. ) Chaque goutte de pluie comme un grand roman qui s’écrit.
Le jeune chevreuil a refusé d’entrer dans mon appareil photo. Je lui ai proposé de se sécher chez moi. S’ébrouer sous la pluie n’a pas de sens. Je pouvais lui promettre une assiette parfumée de tomates basilic et mozzarella, mais les tomates achetées sur le marché de Villefranche de Rouergue n’ont aucun goût. Il me reste aussi une botte d’asperges vertes liées en faisceau. Il m’a regardé. Apparemment il ignore la langue des signes mais je ne sais dire que «je t’aime» en formant un cœur au niveau de ma poitrine. Comment signe-t-on asperge ou mozzarella ? S’il questionne ses parents, peut-être lui traduiront-ils qu’un type, en T-Shirt « Eagle Team », lui a dit «je t’aime». Mais rien sur les asperges et la mozzarella. De fil en aiguille, mon face à face matutinal avec un jeune chevreuil fut conversation vespérale chez mes hôtes. Le fils dispute gentiment à son père la dernière tranche d’un saucisson de colvert. Le printemps n’a pas éteint le feu qui brûle dans le poêle. Isabel cuisine un magret de canard engraissé à Martel. De fil en aiguille, le brocard devient selle. Dans la nuit du causse, nous parlons du quai Lombard, de New York, de métro. De John Woo, de Léa Massari. Isabel chausse des talons aiguilles.