L’absorption du lecteur par un texte envoûtant…
George Eliot – Middlemarch – Editions Folio
On a lu Henry James, on a lu Edith Wharton, on a lu Jane Austen et on ne savait rien de George Eliot ! L’erreur est en partie réparée après la lecture de Middlemarch et on ne saurait s’arrêter en si bon chemin. Volumineux roman qui mêle plusieurs destins que tout conduit à se croiser, cette histoire ne s’interdit aucun hasard, tant l’on sait comme le romanesque fait feu de tout bois dans la réalité. Dans Middlemarch, on commence avec Dorothea, et le pur esprit dont la pare George Eliot est poignant de bout en bout, et certainement l’auteure a puisé en sa propre profondeur bien des traits de caractère qu’elle lui prête. Ce qui n’empêche la causticité, et celle de l’auteure explose au détour de chaque page, un humour acide dont George Eliot n’est pas avare. Une fois posée la grandeur d’âme de sa préférée, elle épingle volontiers avec un sens aigu de la caricature les petitesses indéniablement humaines de la cour qu’elle compose autour de Dorothea. Il y a là Brooke, un Bouvard et Pécuchet à lui seul et qui fait les frais de la raillerie acérée et néanmoins attendrie de l’écrivain, il y a le Faustien Bulstrode et la pénible Rosamond. Il y a encore Cadwallader, l’odieux époux de Dorothéa. Il y a certes Ladislaw ( très lointain cousin du Jamesien, Ralph Touchett ) mais peut-être aurait-il mérité une once d’épaisseur tant on voudrait voir Dorothea comblée à la mesure de sa prédilection pour l’absolu. Enfin, il y a Lydgate, mari malheureux, médecin trompé, à moins que ce ne soit le contraire. « Dire qu’une petite femme peut jouer un tel rôle dans la vie d’un homme que renoncer à elle puisse constituer une très bonne imitation de l’héroïsme, alors que sa conquête deviendra peut-être une discipline ! »
On est en Angleterre dans les Midlands aux alentours de 1830, on est aujourd’hui. Et si aux Scènes de la vie de province balzacienne, George Eliot oppose sa propre Etude de la vie de province comme il est indiqué en sous-titre, elle ne déroge pas au vaste chantier littéraire enthousiasmant qu’est son étude de moeurs. En interrogeant le verbe aimer, en l’explorant de l’exaltation fébrile des commencements à son cortège d’impasses, ce roman de l’amour, sur l’amour, ses espérances et ses méfaits, où chacun s’engage pour le meilleur et plus souvent le pire, donne son sens au mot fidélité, et à celui de désir ou serment. Si le sujet en est l’influence des sentiments sur le destin des personnages et ce qu’ils vont découvrir d’eux-même, la matrice en est l’amour accompli et inaltérable que chacun croira avoir trouvé. On méditera et on sourira du très juste « Dans le mariage, la certitude du Jamais elle ne m’aimera très fort, se supporte plus facilement que la crainte du Je ne vais plus l’aimer. » Et plus loin, parlant d’un adultère sur le point d’être commis si l’amant n’avait décliné, Dorothea aura ces mots « le mariage absorbe toute notre capacité de donner ou de recevoir les bienfaits de cette sorte d’amour. Je sais bien que cela peut nous être très précieux mais cela assassine notre mariage, et ensuite le mariage reste avec nous comme un assassinat. » George Eliot construit son livre en donnant à lire au lecteur les conséquences des actes de chacun avant d’en expliquer les raisons. La répétition du procédé fonctionne à merveille et participe de l’absorption du lecteur par un texte qui se révèle envoûtant.