Les yeux du Lot…
Frank Deroche
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction
Mon vélo repose contre une butée de mousse. Un vent tiède fait gonfler la manche de ma chemise. Le cou tendu vers la berge, devant les bulles d’air qui rejoignent la surface de l’eau, je reste quelques secondes immobile, le torse incliné en avant.
Insensiblement, aux extrêmes limites de la rivière, commence à poindre une phosphorescence. Avec la lenteur des choses éternelles, elle grandit et se condense en une buée. Dans cette vapeur s’avance peu à peu une petite boule luisante, irisée. Tout s’enchaîne alors de matière rythmique. Les secondes succèdent aux secondes, une partie de moi-même interroge l’autre, mais il ne m’est plus permis de me tromper : il s’agit bien d’une loutre…
Elle est là, grise, d’une nuance argentée, surnaturelle. Sa moustache jette une ombre sur la fourrure de ses joues. J’aperçois bientôt sa truffe et ses petits yeux noirs. Pourquoi se sent-on si vivant quand on plonge son regard dans celui d’un animal sauvage ?