Ailleurs où que l’on soit… en soi…
Célia Houdart – Gil – Editions POL
Qu’il est bon de préférer ! C’est ce qui se passe avec Gil. On ouvre ce livre, on en tourne les pages le plus lentement pour qu’elles durent, et le livre une fois refermé, l’impression profonde produite par ce texte se prolonge, on n’a de cesse de l’offrir, le faire découvrir, le partager. Qu’en est-il de cette histoire ? Un tout jeune homme, Gil – prononcez à la portugaise Giou – est destiné à devenir un grand pianiste, il a travaillé pour cela et soudain une autre voie se présente, « dehors les blés ondulaient comme une mer houleuse. Epis barbus, certains encore verts. Gil se mit à chanter. » Alors tout gronde en lui. Dans les livres de Célia Houdart beaucoup est affaire de détails, ils vont préciser ceux d’une action, d’un caractère. Elle fait oeuvre subtile et déroule des événements infimes qui révèlent tant. L’écriture faussement nue et lapidaire, arrive à faire que l’ineffable en devient concret. Surtout, cette écriture nous fait ressentir ; et l’histoire sort de chaque page, incroyablement émouvante parce qu’on est avec l’extrême jeunesse, la frêle jeunesse de Gil, l’ancien pianiste, ténor si neuf. Ce que c’est de se livrer à son art et de (se) chercher, ne pas s’égarer dans tout ce qui vous submerge mais vous entoure. On est avec la beauté toute puissante, ici d’une voix, car Gil est son propre instrument, sa voix le prolonge, elle le densifie, bien plus, elle l’incarne. On est avec Gil et ses professeurs, on répète avec lui, on entend littéralement sa voix qui réclame d’être. On est avec la mère de Gil et un fraisier d’anniversaire à demi écroulé dans sa boîte en carton de pâtisserie, on est sur une route de France l’été, on est face à une barre de seuil en laiton, et soudain, elle se met à luire étrangement, « séparant deux mondes », on est là, où seule la littérature entraîne, ailleurs où que l’on soit… en soi.
Célia Houdart – Gil – Editions POL