Seul définitivement avec un carrosse de l’enfance…
Jean-Paul Dubois – Une vie française – Editions de l’Olivier
Chaque auteur, secrètement ou pas, désire écrire son grand livre, et quand cela arrive, il le reconnait celui qui restera, qui contient tous les autres, la pierre angulaire de l’édifice, et son dôme tant qu’à faire. Avec Une vie française, Jean-Paul Dubois réussit son très grand livre. On y retrouve toutes ses obsessions : dentiste, tondeuse à gazon, la mer en péril salvateur, les femmes belles mais décevantes. Avec ça, la foire à l’inanité d’un tout petit monde, bien petit, de la politique. Le résumé qu’en fait l’auteur au travers du règne des présidents de la Vème république au siècle dernier est savoureux, féroce. On enrage de ces polichinelles, avant d’être immanquablement envahi par la gravité de Paul Blick, ses ruades et ses désillusions. La perte d’un grand frère qui ouvre le roman avec fracas – et l’on n’en sort plus – court tout le livre ; le chagrin d’une mère, d’un père, d’un petit garçon sans aîné, qui restera seul définitivement, avec un carrosse de l’enfance. Et pas une once d’envie d’en découdre avec ce que d’aucuns appellent « le monde réel, l’univers des affaires, un globe suffisant et mature régi par des gens avisés, responsables, embauchant à la petite cuillère, licenciant à grands seaux, transformant habilement le travail en une denrée aussi rare que le cobalt et dressant des générations entières à l’humiliant exercice de la génuflexion. » Paul Blick, lui, préférera les heures immobiles auprès des arbres, cherchant auprès d’eux un instant d’éternité, il les photographiera et constatera : « Fourmis agitées, nous nous démenions pour trouver une place en ce monde. Les arbres ne devaient rien comprendre à notre espèce. Petits mammifères agressifs à la maigre espérance de vie, nous combattions sans cesse et tombions sans cesse et tombions inexorablement à leurs pieds sans jamais prendre racine nulle part. Nous ne semblions jamais tirer aucun enseignement durable de nos erreurs. Même si nous étions capable d’inventer des boissons gazeuses et des téléphones sans fil. » Il s’en défend, Jean-Paul Dubois, de cette loi marchande de l’espèce.
L’ensemble est traversé de pages si tendres, elles bouleversent, par leurs détails et leur pudeur à dire l’amour pour un père et une mère murés dans un avant inexorablement perdu, cet amour qui n’attend rien, ne réclame rien d’autre qu’à être. En cela fort différent de l’autre, le conjugal, voué à l’échec, il est notre défaite. « L’amour est l’un de ces sentiments sophistiqués que nous avons appris à développer. Il fait partie des divertissements opiacés qui nous aident à patienter en attendant la mort. » Que l’on n’attend pas tant d’ailleurs, mais pour nous trouver, elle nous trouve. Et ce livre ne dit que cela.
Jean-Paul Dubois – Une vie française – Editions de l’Olivier