Un pouvoir semblable à la gravité des étoiles…
James Salter – Un bonheur parfait – Editions de l’Olivier
C’est toujours un trouble de relire un grand livre. De retrouver deux ou trois décennies après des pages qui nous ont abrité le temps de la lecture et que l’on abrite depuis. Des personnages, une histoire, une atmosphère se sont installés en nous, ils ont laissé leur empreinte et voilà que l’on confronte ce qu’ils sont, un souvenir, à un commencement. Car relire Un bonheur parfait ce n’est pas recommencer, non, c’est découvrir. Se laisser envahir une nouvelle fois par le vertige qu’est ce roman. Explorer sa mélancolie profonde, la façon dont il arpente le temps, comme il passe, et il ne passe tellement pas justement. Tout dans ces pages oeuvre à faire d’elles un collier de pierres sombres aux facettes étincelantes.
Alors, que reste-t- il de notre amour pour ce livre à la deuxième lecture ? Beaucoup et plus, car on veut être avec ceux là, Nedra et Viri, couple disloqué comme le serait une poupée qui a été la plus belle. Il y a Nedra, son irréversible séduction, sa gravité sourde et son allégresse enchanteresse, Nedra qui se laisse attraper « comme un animal fabuleux », Nedra qui ne veut pas être la femme de Viri, ni même la mère de leurs deux filles, elle veut être. « Cette soumission, ce triomphe la rendaient plus forte. Comme si finalement, après être passée par des stades inférieurs, sa vie avait trouvé une forme digne d’elle. L’artifice en avait disparu ainsi que les vains espoirs, les vaines attentes. Il lui arrivait d’être plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été et il semblait que ce bonheur ne lui était pas donné, mais qu’elle l’avait créé elle-même, l’avait cherché sans même connaître sa nature, avait renoncé à tout ce qui était moins important – même des choses irremplaçables – pour l’atteindre. » Le titre bien sûr, Un bonheur parfait, est trompeur, à mesure des chapitres le lecteur devient celui « derrière une porte qui surprend une voix qu’il n’est pas censé entendre. Une déclaration qui le démolira pour la vie. »
Davantage qu’un désenchantement, ce roman est celui du renoncement, que se charge de vous enseigner l’existence. Avec Nedra et Viri son mari quitté, avec leurs enfants, avec leur maison ruissante puis désertée, avec les saisons dont on veut retenir la teinte mordorée, James Salter écrit la fêlure en toute chose. Et si ténue puisse-t- elle être, il dit la plénitude aussi, et célèbre ce qui est perdu. Le tourbillon de la vie.
James Salter – Un bonheur parfait – Editions de l’Olivier