L’écrivain et l’abri…
Marie Van Moere
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction
J’ai écrit mon premier livre chez moi, à la faveur de la nuit, accoudée à une grande table en bois massif d’une enseigne suédoise, derrière une large verrière qui laissait passer le froid de l’hiver et la fraîcheur en été. Quand le noir devenait trop envahissant, je ramassais mes affaires et me calais dans la petite cuisine. C’était rare. Je déteste me sentir enfermée. Personne n’est jamais libre, le tout est de ne pas se sentir enfermé, ni de l’être (ni de l’esprit). Bref. Même la nuit il y a des choses dehors. Écrire, c’est rejoindre ces ombres qui sourient de leurs dents jaunies par le jour.
Le deuxième livre, je l’ai commencé trop tôt, encore trop envahie des ombres du premier.
– À qui appartiens-tu, ombre ? Au premier roman ou au deuxième ?
Et l’ombre sourit de ses dents jaunies.
C’est étrange, mais écrire chez soi, c’est écrire avec tous ces fantômes qui se traînent à vos chevilles. Est-ce parce que, dans ces cas là, on ne se sent pas chez soi ? Parce qu’on lutte contre l’anxiété tapie dans les murs et la tendance à l’enfermement ? Je n’ai pas la réponse. Même Marguerite Duras avait trois maisons, elles lui étaient absolument nécessaires malgré la beauté et l’identité de chaque lieu dans lequel elle vivait et écrivait. Une maison n’est pas qu’une maison, c’est un environnement, un contexte, une domesticité mentale, c’est-à-dire qu’à chaque lieu ses fantômes de l’existence. Quand ces derniers deviennent trop envahissants, quand ils vous font barrage à l’écriture, c’est une chance de pouvoir les abandonner à leur sort le temps qu’ils se calment et soient malheureux de l’absence. Les abandonner en leur souriant de toutes nos propres dents jaunies. Passer de l’ombre à l’être de chair et de pensées.
– À qui appartiens-tu, ombre ? À la vie ou à la mort ?
– Aux deux, bien sûr.
L’écriture pourrait être l’acte d’amour de ces deux mondes, la vie et la mort. C’est difficile et on n’y réussit pas toujours. Quand j’ai passé le seuil de la maison d’écrivain De Pure Fiction, j’étais dans la réalité de l’abri pour finir d’écrire la première version du deuxième roman. Le résultat de plus d’un an de travail, vingt mois pour être précise. L’abri permet le dévoilement et j’ai trouvé une ruine, un échec. Une vaste ombre de texte qui n’avait que peu d’écriture et de substance. Une ombre faite d’accumulation d’ombres et les seules ombres qui vaillent dans les livres sont celles qui montrent la source de lumière. Ce qui veut demeurer totalement noir s’éteint avant le chaos.