Sur le causse, les murets blancs comme de vieux os…
Aline Kiner
lors de sa résidence d’écriture à la maison De Pure Fiction
Même si j’en ai fréquenté qui lui ressemblent, je ne connais pas ce paysage. Dès le soir de mon arrivée, je l’explore. Comme un chat, à pas précautionneux, les pupilles resserrées par le soleil, les narines frémissantes. Je cherche un signe.
Chaque lieu où j’ai écrit a le sien. La Drôme m’a offert les ceps tourmentés de ses vignes. Les Cévennes, le ballet des rapaces au–dessus d’une combe embrumée. La Lorraine, cette forêt qui est à jamais mienne, où la lumière palpite telle une âme entre les troncs des arbres.
Silence. Ou plutôt ce que nous appelons « silence ». En réalité, l’air chaud, immobile, est gorgé de sons : les craquettements des cigales, le cliquetis des cloches au cou des vaches, et les pierres qui sonnent clair, cassant sous mes semelles. Les pierres partout. Moellons bruts des murets le long des chemins, blancs comme de vieux os sur le causse, moussus à l’ombre des chênes. Lauzes des cazelles, aux voûtes encorbellées de vieux temples. Dalles douces posées par notre hôtesse dans l’herbe piquante, devant la maison, pour accueillir nos pieds nus.
Je traverse le pré, descends un sentier, tangue sur les cailloux qui roulent, m’assure au muret, pose ma main sur le calcaire nu. Ouverte, confiante, comme sur le corps d’un être aimé. La pierre est rêche, chaude. Plus chaude que ma peau. Elle rayonne. Je sens d’autres paumes sous la mienne qui soigneusement, patiemment, jour après jour, ont élevé, relevé, cet humble édifice. J’ai trouvé mon signe.
Ici, je ne serai pas seule pour écrire.