La littérature a de l’estomac…
A votre santé Monsieur Parpot !
Alain Monnier- Editions Flammarion
Longue vie à Parpot et son estomac manquant dans ces nouvelles tribulations d’un héros ordinaire et attachant comme la littérature en produit peu. Alors que les éditions J’ai Lu ont l’heureuse idée de ressortir en poche en un seul volume les trois premières aventures de Parpot, on retrouve notre héros en cancéreux, dans l’attente d’une rémission incertaine, ce qui n’empêche qu’il soit toujours un acharné de l’épître. S’il n’est pas maître de sa vie, Parpot est maître en correspondance. Chercheuse, oncologue et tant d’autres deviendront ses plus proches au grès de ses missives. Mais c’est quand il s’écrit à lui-même que Parpot nous bouleverse et emporte le morceau – et il ne s’agit plus de son estomac – : « Pourtant la vraie souffrance quand la mort approche, c’est de regarder sa vie et de ne pas en être content. Moi je ne suis pas très content de la mienne surtout quand je compare avec les films que ma mère regardait comme par exemple La dolce vita lorsque Mastroianni va dans la fontaine de Trevi avec la belle dame en fourreau noir. Moi je suis jamais allé dans aucune fontaine au milieu de la nuit. Bien sûr j’aurai pu le faire mais personne ne serait venu me rejoindre, sans même penser évidemment à une jolie dame avec un fourreau noir. j’aurai juste eu les pantalons et les souliers mouillés… Ma vie c’est ça, comme la fontaine de Trevi à Rome mais sans les projecteurs et sans Anita Ekberg, juste l’obscurité et les pantalons mouillés et l’eau froide qui glace jusqu’à l’os quand on sort. »
Parpot n’ira pas à Trevi mais à Venise où son créateur Alain Monnier l’envoie en mission pour y délester une comtesse de ses secrets, plongeant son héros non pas dans les eaux noires de la Sérénissime mais dans un singulier tube à essai : la terrasse du Danieli, ce qui vaudra au lecteur des pages savoureuses relatant par le menu les agapes d’une comtesse prise à la gorge, d’un Parpot sans estomac et d’un monsignore ogre dévorateur. La digestion bien plus que l’addition sera lourde et le retour de notre héros dans son neuf mètres carrés rien moins qu’aérien. « En fait ce qui est important dans la vie aujourd’hui, c’est que les gens achètent tout le temps. Ici à l’aéroport de Toulouse Blagnac, on veut leur faire croire qu’ils sont venus pour acheter et pas pour prendre l’avion comme ils pensaient, d’ailleurs il y a des réclames partout même quand on tourne les yeux pour pas les voir. Souvent ce sont de jolies jeunes femmes souriantes en petite culotte qui vous tendent quelque chose, comme une grosse montre par exemple, dont on n’a pas envie. On aurait plutôt envie d’être avec la jolie souriante mais comme ce n’est pas possible, on croit que la grosse montre peut la remplacer mais ce n’est pas vrai. »
Comme souvent lorsque l’on lit Alain Monnier, on sourit, même si l’existence s’y révèle d’une douce tristesse, pleine de chausse-trappes et d’incertitudes. Ici, bien plus que de la maladie, il s’agit de la mort, son mystère, avec comme maigre espoir une lumière blanche qui contiendrait toutes les ténèbres. L’oeil laser de l’auteur est incisif : « Dans la salle d’attente il n’y a plus de différence entre les CDI et les CDD, c’est plutôt comme si tout le monde était en intérim. Il y a un chef d’entreprise, une coiffeuse, un banquier, un agent de la SNCF et même un acrobate de cirque mais ils parlent jamais de leur travail ou de leurs vacances comme les autres gens. Eux ils ne parlent que de leur cancer, c’est un peu comme si leur vie avait été engloutie. »
Au milieu de ces malades on retrouve la comtesse, dans quelques jours son cancer de la gorge lui ôtera la parole, et c’est en écrivant à Barthélémy Parpot, en le choisissant comme ultime confident qu’elle dit tout. Où l’on découvre que la lumière blanche vous traverse parfois sans qu’on y perdre la vie. Cela ne fait pas forcément de nous un vivant.
A votre santé Monsieur Parpot ! – Alain Monnier- Editions Flammarion