S’attendre au pire pour échapper à l’anxiété de l’espoir…
Les chutes
Joyce Carol Oates – Editions Philippe Rey
Joyce Carol Oates, c’est un peu la Balzac d’aujourd’hui, elle écrit comme elle respire, semble-t-il, et sa production littéraire impressionne. La quantité ne serait rien sans la qualité, et Les chutes est indéniablement un roman qui s’inscrit durablement dans notre mémoire de lecteur. Un tour de force que cette plongée dans la famille Burnaby, avec pour pivot central la rousse et sombre Ariah Littrell « Une femme qui s’attendait au pire pour échapper à l’anxiété de l’espoir. » Fille, femme ou mère de l’ensemble des protagonistes qui se succéderont et nous happeront tout aussi sûrement. « On a envie de leur faire mal parfois à ceux qui vous aiment trop. » Aussi Ariah Littrell blesse bien volontairement celles et ceux qui l’aiment le plus. Elle ne peut pas faire autrement, sous le joug d’une rage qui doit briser les autres puisqu’elle ne l’entame pas elle.
Les chutes, ce sont celles du Niagara, leurs turbulences et leur abîme n’ont rien à envier à celles des noces et des lunes de miel qui justement s’y abîment. « Non seulement il était amoureux d’elle, comme n’importe qui aurait pu tomber amoureux d’elle, mais il l’aimait. » Cela ne suffira pas, l’amour entier. L’attraction de la chute précipite chacun vers un destin où tout semble joué d’avance, et où l’on devance, ce qu’a de plus inéluctable l’existence : la mort.
Les deux premiers tiers du roman se dévorent, le rythme, la construction sont un modèle du genre : le roman foisonnant, aux allures de poupées russes avec Ariah les contenant toutes. On est déjà à mi-parcours quand sans crier gare, la lutte pour une meilleure écologie, s’invite dans l’histoire. Et c’est une réussite, comme si tout ce qu’avait échafaudé l’auteure trouvait là sa densité. C’est ainsi qu’un livre trouve la meilleure place dans une bibliothèque.
Les chutes – Joyce Carol Oates – Editions Philippe Rey