L’odeur universelle de la faiblesse humaine…
Suite Indienne – Paul Théroux – Editions Grasset
Le simple fait de ne pas connaître un paysage justifie d’aller à sa rencontre, mais il est des cultures entre lesquelles la rencontre à l’aveugle provoque une démolition de l’être quand ce n’est pas sa destruction. Ainsi en est-il pour Paul Theroux, écrivain voyageur, incarnation d’un Occident en quête de rédemption et qui découvre à ses dépens une Inde des bas fonds, inquiétante, violente, à des années lumière des clichés touristiques. Trois contes cruels, ironiques, implacables, illustrent ce ratage inéluctable et… tragique.
Un riche couple d’Américains BCBG, dédaigneux, naïfs, croit trouver la sérénité à force de massages ayurvédiques au pied de l’Himalaya. Le passage sans transition du spa de luxe à la crasse miséreuse et puante d’un village déchetterie où croupissent des êtres incompréhensibles et des singes au regard trop humain, les déconcerte, les choque, les dégoûte, mais c’est tout. Ils le paieront cher.
A Bombay un homme d’affaires New Yorkais cherche pour sa firme des sous-traitants tous azimuts et bon marché. Désabusé, cynique, il se laisse prendre aux manigances d’une trop jolie mendiante et se croit sauvé. Passé de l’autre côté du miroir. Leurre d’une sexualité transfigurée par la sensualité indienne. Mensonge de ce qu’il croit être de sa part de la compassion pure. Il va s’y perdre.
Une étudiante en rupture de ban arrive à Bangalore découvrir les vraies valeurs dans un ashram. A la place, et malgré tous ses efforts pour le fuir elle est prise dans les filets répugnants d’un employé de télécom, représentant de la nouvelle Inde moderne et sûre d’elle. Violée, elle découvre le parcours kafkaïen de l’administration judiciaire indienne, machiste, corrompue, clanique. L’épilogue est d’une sauvagerie rare.
Suite indienne moque avec tranchant la doxa occidentale béate et baba cool, ignorante, qui dans la différence ne voit que costume, maquillage, parfum, architecture, cuisine… et manque avec condescendance l’essence de cette différence. Mais le livre révèle aussi une Inde méfiante, méprisante, dissimulant ses tristes vérités, alors même et d’autant plus que l’envers de la carte postale ne peut être caché aux yeux du voyageur. On pense à Faulkner parfois, tellement Theroux conjugue le bruit et la fureur pour conduire ses personnages au bout d’un échec intellectuel et charnel qui a « l’odeur universelle de la faiblesse humaine ».
Suite Indienne – Paul Théroux – Editions Grasset