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Maison d'écrivains (le Blog)

L’honneur ensablé sous les mots…

L’honneur ensablé sous les mots…

En vieillissant les hommes pleurent – Jean-Luc Seigle
Editions Flammarion

Finalement c’est un roman sur le temps. Le temps qui avance ou bascule, qui fige ou qui détruit, maquille ou bien dessille, qui dicte des testaments, muets ou parlés, le temps des commencements. C’est d’ailleurs un roman que rythme le temps. Six actes enclos entre le lever d’un jour et celui du lendemain pour raconter l’implosion d’un père. Et un épilogue pour dire sa rédemption, cinquante ans plus tard, par la grâce de la voix du fils, ouvert à la vie grâce aux livres. C’est donc aussi un roman sur la littérature.
Le 9 juillet 1961 Albert Chassaing s’éveille nu à l’aube avec en tête l’idée de mourir mais avec celle encore des plaisirs minuscules qui font le bonheur. A l’aube du lendemain, on le découvre pendu à la poutre de son garage, nu. Vingt-quatre-petites heures pour que l’idée d’en finir trouve son évidence et lui permette sans plus se mentir de s’accomplir en tant que père, fils, mari et même frère. En tant qu’homme aussi, dont l’honneur est ensablé sous les mots et les silences qui noient la Ligne Maginot.
Dans ce  parcours bouleversant, Jean-Luc Seigle nous entraine avec des ressorts très convaincants.
L’usage romanesque d’objets ou d’événements prosaïques, qui ancre (encre ?) dans le contemporain de l’histoire les invariants des destinées que ne cesse de nous narrer la littérature depuis qu’elle existe. Ici le basculement de la vie d’Albert prend deux formes : le remembrement des terres agricoles, qui signe l’avènement d’un monde qui l’exclue ;  l’écran de télévision qui noue la corde autour de la poutre en lui  ouvrant les yeux sur  la guerre d’Algérie, où son fils ainé risque sa vie.
La présence du réel, le ventilateur, le cerisier, la rivière, la combinaison blanche de l’épouse, le gant de toilette de la mère, l’odeur du Miror, le ruban de papier tue-mouches, le grincement de la porte du garage, et tant d’autres, l’intense présence du réel qui, mieux que toute explication psychologique, crée entre les situations et nous la diagonale de l’émotion.
L’écriture, faussement simple, déchirante de simplicité, les phrases pures où affleurent avec pudeur, presque par effraction, les courants de conscience des personnages.
Et puis c’est un roman sur le roman. Un hymne à la littérature. Dans son désespoir Albert, à qui manque les mots pour dire les plaies, confie, on a envie de dire lègue, son fils cadet à un instituteur à la retraite, pour réaliser ce qui lui est inaccessible : faire que ce fils, qui depuis tout petit n’est heureux que par les livres, s’élève dans la vie par les livres.
La mission sera accomplie.

En vieillissant les hommes pleurent – Jean-Luc Seigle – Editions Flammarion