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Maison d'écrivains (le Blog)

Son roman familial…

Son roman familial…

Per Petterson – Paris-Brest – Editions Minuit

« On dirait que dans la Marine, on recrute les officiers selon le format de leur squelette, ou bien qu’un certain type d’exercices physiques, ou bien un certain régime alimentaire, a fini par sculpter leur corps de cette même taille longiligne et curieusement aviaire, oui c’est ça, à des oies, à des dindons ou à des canes, et les enfants par dizaines, car on fait beaucoup d’enfants dans la Marine, font autant de petits canetons franchissant le cul toujours un peu en arrière, la lourde porte de verre fumé. » C’est avec une fausse naïveté amusée que Tanguy Viel nous cuisine une histoire mi-figue mi-raisin nappée de crème, fouettée à la main, celle de l’écrivain, tout à son observation aiguisée de ces humains romanesque en diable. Et plus on tourne les pages plus le noeud de vipère familial se resserre. La vipère ici, c’est la mère, vénéneuse, dangereuse, parfaite incarnation de la mante religieuse et quand elle a un geste pour son fils si le sang ne coule pas c’est uniquement d’être coagulé par trop de non-dits « Et se taisant l’un et l’autre elle a passé sa main sur ma joue, elle m’a caressé la joue, et pour moi, c’était comme une lame de rasoir qui m’arrachait la peau… Avant de partir, ma mère a fait installer un judas sur la porte de mon appartement, un vrai judas d’où je pourrais regarder qui voulait entrer chez moi. Et j’avais beau lui dire que non, lui dire qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait, je ne regarderais jamais par le judas avant d’ouvrir, j’ai eu beau m’énerver, elle n’en a pas démordu. parce qu’elle savait. Elle savait qu’une fois le judas posé sur ma porte, je regarderais à travers. Et non seulement je regarderais qui sonnerait chez moi mais je regarderais toutes les allées et venues de l’immeuble. j’ai regardé par le judas tous les jours dix fois par jour pendant tout le temps où j’ai habité ma loge de concierge, oui, disait le fils Kermeur, ta mère est très forte, elle a fait de toi un concierge. » Histoire de se contenir, cette haute figure maternelle asthmatique se fourre la gueule dans un sac en plastique, là seulement elle respire, et son entourage souffle. Il y a un père aussi. « La brume à cet instant, ce n’était plus que les Gitanes sans filtre que mon père allumait l’une sur l’autre au milieu de quelques phrases absentes, très absentes même, puisque je crois qu’on ne s’est pas parlés du trajet, comme rendus plus silencieux encore par la mer endormie qu’on longeait maintenant sur la seule route tracée qui sillonnait la dune, où chaque rocher dressé à la surface de l’eau semblait comme une stèle apaisée à la mémoire du vent… Et dans le ciel sans reproche, bientôt on pourrait voir, exactement comme je l’imaginais, comme un rocher que la mer aurait jeté un jour énervé d’équinoxe, vieux mélange de granit et d’ardoise dont chaque marée trop haute sous chaque rafale trop grande venait encore rafraîchir le vieux lierre sur la façade si fière, érigée comme un défi bourgeois à la mer millénaire. » Mais parfois ce n’est pas la mer qui se déchaîne mais bien le fils, un écrivain tiens tiens… et avec ses mots pour armes il cogne fort, et à la fin il touche. Effleurant et déshabillant d’un trait bien des mauvaises pensées. Secrètes forcément secrètes. Assurément il y a dans ces pages « des choses sur nous. »

Per Petterson – Paris-Brest – Editions Minuit