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Maison d'écrivains (le Blog)

A livre ouvert avec Paola Pigani

A livre ouvert avec Paola Pigani

Depuis son premier roman N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Paola Pigani donne une voix à ceux qui en sont démunis. Elle écrivait cet hiver à la maison De Pure Fiction son prochain livre à paraître aux éditions Liana Lévi.

Racontez-nous où commence un livre

Un mot, une image, un poème qui deviendrait idée fixe ou scrupule (scrupulus : petite pierre pointue) créant une gêne puis une petite douleur jusqu’à ce que je trouve le courage d’aller au bout. J’écris comme je marche sans penser à la direction que je dois prendre, je me donne la chance de m’égarer mais sans me perdre. J’aime l’idée d’une friche d’écriture qui serait un peu comme un paysage du causse avec ses bruissements secs, ses combes d’eau, ses chemins verts de lichen, des lignes confuses de ronciers et de buis mêlés, des murets apaisants qui soutiennent le regard.

Avez-vous des rituels d’écriture ? 

Comme j’écris très souvent à la main, je peux emporter mon écritoire partout, carnet, cahier. Si je me sens prise au dépourvu, je m’envoie un message, phrases à voix haute sur la messagerie vocale de mon téléphone. Sur mon bureau, j’aime voir la  petite chouette offerte par un ami écrivain, une pierre trouvée en marchant, un recueil de poésie, un dictionnaire, du chocolat noir.

Pouvez-vous nous dire ce temps suspendu de « quand on écrit »

Un sentiment d’irréalité, de désertion, d’abandon. Le vertige, le plaisir viennent plus tard à la toute fin du livre quand je me sens portée par mes personnages.
Un temps suspendu oui mais pas toujours ; j’ai besoin que la vie chahute un peu le travail d’écriture car j’écris aussi avec l’énergie corporelle et cérébrale, dépendantes de l’espace et de l’environnement humain, animal où je vis.

Quand vous lisez, vous êtes où, vous êtes qui ? Que se passe-t-il alors ?

Je découvre et explore l’épaisseur du monde, l’épaisseur humaine. La littérature est un cœur inépuisable. Quand je lis, je me déporte, me dédouble, m’éloigne de moi-même. Parfois j’entre très profondément dans l’écriture d’un auteur qui me  rassemble et me comble. C’est une histoire de vide et de plein. J’aime qu’un livre me secoue, laisse des traces et me fasse oublier pourquoi et pour qui je vis, « jusqu’à l’ombre du mot mourir » (James Sacré)

Si vous deviez être une phrase quelle serait-elle ?
Une phrase sans fin.

Racontez-nous votre Il était une fois… une maison d’écrivains

La maison De Pure Fiction est une pure chance d’écrire, de pouvoir dormir sur ses mots, les reprendre au matin à leur source, s’offrir de longs détours pour mieux revenir au rythme propre de ses phrases, errer sur le causse qu’on dit aride, se laisser porter autant par les pierres, les arbres que les nuages, marcher sur les pas de celle qui a fondé ce lieu, casser des noix, manger un farçou tiède, guetter l’oiseau dont on ignore le nom, saluer l’écrivain qui a laissé des traces ici ou là, dans un des innombrables livres de la maison ou sur le bois de la table. La maison De Pure Fiction c’est aussi et surtout un grand luxe d’espace de temps et de silence ; rien ne peut y être gaspillé, rien ne peut y être volé; on ne ferme jamais les portes à clé. Une maison toujours ouverte comme le paysage, quand le soleil vient cogner sur la baie du grand bureau jusqu’à m’éblouir et m’empêcher de travailler sur l’écran de l’ordinateur, j’enfile mes bottes, ma parka, je vais voir ailleurs si j’y suis. J’écris en marchant.

Aux mots nature et horizon, à celui de Lot ou Occitanie, par quels mots répondez-vous ?

Il est des chemins de pierre proches des chemins de prière
Je ne cherche pas à toucher l’horizon
Mes yeux mon corps en écriture
Marchent
Chaque arbre croisé donne sa chance à la lumière
Aucun ne l’en empêche
Les mots se dressent pareils
Dans le silence et la vie
Traversés de toute part
S’ils résistent
Ils s’enracinent
Deux calvaires à moins d’un kilomètre de distance
Deux puits immenses
Tout pour la soif
Sur l’autre versant de la vallée du Lot
Une  ligne de feu écrête la  forêt
Je ne cherche pas à toucher l’horizon
Juste l’air que traverse l’oiseau
J’écris jusqu’à épuisement de la lumière derrière la vitre
Je dois m’habituer à écrire dans le noir aussi
Sans regarder les traces que je laisse
Chaque chapitre est un champ en jachère
Je ne suis sûre de rien
Je n’écris pas pour la postérité.

Vous ferez quoi Paola Pigani quand vous serez grande ?

Je referai le chemin.