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Maison d'écrivains (le Blog)

La mariée était trop belle…

La mariée était trop belle…

Gustave Flaubert  – Madame Bovary – Editions Folio

Elle est toujours surprenante l’emprise d’un chef-d’oeuvre. On y revient presque sur la pointe des pieds, redoutant que cette fois, parce qu’on l’a déjà lu et relu, parce que tout a été écrit sur ce roman, et beaucoup à partir de ce roman. On ouvre le livre et une poignée de pages plus tard on aimerait ne pas le refermer sans l’avoir tout à fait terminé, surtout aussi, on sait déjà qu’on le retrouvera, une fois encore, dix fois qui sait, dans quelques années, et on aura vécu sa vie avec lui, avec elle Madame Bovary. Une femme qui n’est pas toutes les femmes et cependant diablement femme. « Où donc avait-elle appris cette corruption, presque immatérielle à force d’être profonde et dissimulée ? » Une qui marchant dans Rouen avec son amant, redoute non pas de croiser son mari mais l’amant précédent « car il lui semblait, bien qu’ils fussent séparés pour toujours, qu’elle n’était pas complètement affranchie de sa dépendance. »

Gustave Flaubert procède avec son héroïne comme il le ferait d’une souris de laboratoire, il fait des expériences, observant, disséquant, concluant. Il la plonge dans le mariage, l’innocente, et elle s’y carbonise. Cela avait pourtant bien commencé… mais surtout pour le mari, ce pauvre Charles, ainsi qu’il demeure dans toutes les mémoires : « Le cœur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente, il s’en allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mâchent encore, après dîner, le goût des truffes qu’ils digèrent. » Comme souvent il est le dernier à comprendre son infortune, sa mère non : « Elle observait le bonheur de son fils avec un silence triste comme quelqu’un de ruiné qui regarde, à travers les carreaux, des gens attablés dans son ancienne maison. »

Charles Bovary n’a pas la moindre idée des turbulences et des désirs souverains qui occupent sa femme à l’issue d’un bal dont elle ne reviendra jamais tout à fait. « Ses souliers de satin dont la semelle s’était jaunie à la cire glissante du parquet. Son coeur était comme eux : au frottement de la richesse, il s’était placé dessus quelque chose qui ne s’effacerait pas. » Emma aime l’amour et elle aime comme une forcenée, elle ne sera pas aimée. Elle ne saura pas ce que l’amour a de singulier, elle s’étourdit de pluriel, il lui faut des frissons, des serments. Rodolphe et Léon, ses amants s’y épuiseront vite. Le drame se joue à chaque page dès lors, et on a beau connaître le dénouement, on est tenaillé par la fièvre de madame Bovary, son exaltation, son tourment, tant il est vrai que madame Bovary c’est nous. Et une drôle de souris. Baudelaire, l’un de ses admirateurs, lui trouvait fort exactement « ce double caractère de calcul et de rêverie qui constitue l’être parfait. »

Gustave Flaubert  – Madame Bovary – Editions Folio