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Pourquoi ai-je tant aimé Où j’ai laissé mon âme ?

Pourquoi ai-je tant aimé Où j’ai laissé mon âme ?

Où j’ai laissé mon âme – Jérôme Ferrari – Actes Sud

D’abord pour son titre. Une sorte de love at first sight pour ce titre qui semble poser une question sans réponse, comme je les aime, mais qui, faisant l’économie du point d’interrogation, a la grâce particulière de sceller dans un soupir, presque un sanglot, ce qu’on pressent être l’histoire d’un échec monumental et définitif.
Et puis je me suis laissée prendre par l’ardente adresse du lieutenant Andreani au capitaine Degorce, par cette lettre de désillusion sans appel, où l’on entend dans la répétition des « mon capitaine » que des deux mots c’est le premier, le possessif, qui compte, et que si l’on ne sait pas encore qui a perdu son âme, on comprend tout de suite qui a perdu son idole et à quel point la perte est douleur.

Ensuite, parce que arrivée en bas de la page 2 je me suis dit mais tout est dit, et en effet tout était dit en bas de page 2, lorsque le lieutenant affirme : « car il n’existe pas d’autre vertu que la loyauté » et un peu plus loin : « il est vite devenu évident que nous ne pouvions plus nous comprendre. » Tout est dit et … on brûle d’en savoir plus, et on se laisse voluptueusement happer par le tempo inouï de ce roman polyphonique qui est peut-être ce que l’on a écrit de plus juste, et de plus percutant au sens où il nous permet de mieux penser, sur la guerre  d’Algérie, mais au delà d’elle sur toutes les guerres avec leur cortège de tortures, d’atrocités, d’inhumanités qui sont bien entendu au centre même de l’humain.

Et je l’ai aimé encore pour les désenchantements inéluctables de Degorce, qu’Andreani nomme prosaïquement ses « états d’âme », qui le font se noyer dans une noirceur dont il se croyait  à l’abri. Le dépossédant de lui-même, le confinant dans un solipsisme où plus aucune parole, même bienveillante ne lui parvient, alors que le seul baume à l’âme auquel il aspire, lui est évidemment refusé. On pense à Claudel, à Saint Augustin, à Camus, on pense à Montaigne, et l’on se redit que seule la littérature, toute pétrie d’Histoire et de philosophie, portée comme ici par une écriture puissante, fluide, véhémente, quasi incantatoire, musicale, une écriture qui tord le coeur sans jamais concéder un iota au pathos, on se redit que seule la  littérature est à ce point capable de rendre compte du réel.

Merci Jérôme Ferrari, merci pour ces pages brûlantes, désespérées, mais aussi apaisantes lorsqu’elles exhument et sauvent du tombeau de nos désirs tragiques, ce mot tout simple : fraternité.

Où j’ai laissé mon âme – Jérôme Ferrari – Actes Sud